Avec les parcours d’Inge et de Patricia, l’auteur revient sur des événements marquants de l’histoire récente de l’Allemagne. Il aborde le sort des populations installées dans les Sudètes, cette région de Bohème peuplée d’Allemands et revendiquée par le parti nazi, des populations ayant fait souche depuis longtemps et celles venues lors de l’annexion de 1938. Il raconte le partage, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, du pays avec un peuple pris en otage entre les deux camps ennemis de l’Est et de l’Ouest. Puis, il évoque la vague terroriste de la bande à Baader au début des années 1970.
Avec des allers-retours continus il décrit les différentes étapes de la vie d’Anna, celles d’Inge, de la petite fille ballottée à l’adolescente amoureuse, puis son passage à l’Ouest, son retour jusqu’au moment où elle se raconte. L’auteur mêle ces différentes périodes et met en scène les conséquences de décisions politiques sur ces populations. Il en va ainsi de ces Sudètes, ces treize millions de femmes, d’enfants et de vieillards lâchés sur les chemins d’Europe dans une errance macabre après 1945. Il fait état de ces camps installés en Tchécoslovaquie après la guerre où les conditions d’enfermement étaient très proches de celles des camps nazis. Il raconte la vie quotidienne des populations de l’Est, en milieu rural, dont la capacité de réaction a été asphyxiée par une propagande intense.
Il expose également l’existence de Patricia, et de quelques autres protagonistes, une Patricia qui se cache derrière une attitude neutre, faisant abstraction de toute coquetterie, qui fréquente une clinique pour une fécondation in vitro, alors qu’elle ne veut pas d’enfants.
Anna Fierlinger est d’origine allemande. En 1943, au cœur des Sudètes, elle est en proie à l’hostilité des Tchèques. Seul, Miroslav, l’instituteur, prend sa défense.
En 2006, en Basse-Saxe, Patricia Sammer, journaliste au Spiegel, cherche à entrer en relation avec Inge, une vieille femme. Elle écrit un livre sur les Allemands de l’Est passés à l’Ouest puis revenus. Elle a eu connaissance de l’existence d’Inge Lempreht ou Oelze en cherchant dans les archives de l’ancienne police d’État, la Stasi. Mais la femme est méfiante et il faut toute la diplomatie de Patricia pour qu’Inge accepte de la revoir. Lorsqu’elle rentre à Berlin, Paul, avec qui elle partage un bureau au journal, est intrigué par quatre morts inexpliquées de personnages âgées, la dernière ayant été découverte récemment par la police.
Sitôt la Seconde Guerre mondiale terminée, les Allemands des Sudètes sont expulsés. Anna, enceinte d’Inge, doit partir avec ses deux garçons de six et trois ans. En 1952, Anna sait qu’elle va mourir. Elle convainc le couple Oelze, qui a perdu un tout jeune garçon il y a deux ans, d’adopter Inge. Ceux-ci la considèrent comme leur fille et elle comme ses parents. Inge grandit à l’abri et adolescente, tombe amoureuse de Christian. Il veut vivre à l’Ouest, va passer le mur et la fera venir. Quand on ramène son cadavre, avec deux impacts de balle dans le dos, Inge décide de partir et de faire payer à tous la mort de son fiancé.
La rencontre de ces deux femmes n’est pas le fruit du hasard. Mais, qu’est-ce qui peut lier cette journaliste qui a toujours vécue à l’Ouest et cette vieille femme à l’existence mouvementée ?
Avec ces deux héroïnes, avec le contexte politique en tension, Maxime Gillio construit une intrigue subtile, d’une grande rouerie, où il les fait jouer au chat et à la souris avec le lecteur, lui faisant pressentir de lourds secrets, des mystères, des énigmes… jusqu’à une conclusion pour le moins brutale et inattendue !
Rouge armé est un magnifique roman que l’on a du mal à lâcher tant le récit est prenant.
serge perraud
Maxime Gillio, Rouge armé, Ombres Noires, novembre 2016, 352 p. – 19,00 €.