Gay Talese, Le Motel du voyeur

 Pul­sion scopique

Face à une société du regard, Gay Talese crée un vrai faux roman ou l’inverse. Adrien Bosc, édi­teur du livre et direc­teur de la Revue « Feuille­ton », ne lève pas cette ambi­guité. Il crée un nou­veau doute dans ce « nou­veau jour­na­lisme » et la vision revue et cor­ri­gée du « No fic­tion novel » inventé avec De Sang-froid par Capote. Le 7 jan­vier 1980, Gay Talese reçoit (ou aurait reçu) une lettre ano­nyme en pro­ve­nance du Colo­rado. Dans cette mis­sive, Gerald Foos confesse avoir acquis un motel à Den­ver dans le seul but de pou­voir épier ses clients grâce à une découpe savam­ment cachée dans le pla­fond. L’auteur raconte sa ren­contre avec cet indi­vidu et pré­sente des frag­ments de ses car­nets où il avoue avoir été témoin d’un meurtre.
C’est une fas­ci­nante his­toire. Et des plus glauques. Une his­toire d’ombres et de lumière liée à toutes sortes de thèmes ciné­ma­to­gra­phiques propres à cares­ser l’interdit. Des images s’ouvrent : elles ont du corps et pas beau­coup de cer­veau — et c’est peut-être le pro­blème car la réflexion a besoin de sa lumière. Reste ici un écran noir pour éclai­rer les choses et illu­mi­ner les êtres même si la lumière n’est pas révé­lée — sinon en noir. Tout demeure de l’ordre de l’opacité pure.

Le dis­po­si­tif ciné­ma­to­gra­phique du texte crée une série d’images pré­sences qui se pro­longent en actions, mais pas de manière figu­rée comme dans un film où seuls agissent les per­son­nages incar­nés sur l’écran. Là, c’est l’auteur qui pro­longe la per­cep­tion en action et l’action en per­cep­tion en des situa­tions de trans­ports amou­reux et de voyeu­risme au sein d’une ména­ge­rie de verre et de vir­tua­lité aux pro­fon­deurs crois­santes.
Le livre ral­lie des élé­ments vir­tuels et le sen­ti­ment de déjà-vu. Tout cela forme une étrange salade de passé non situé, une rémi­nis­cence de ce qui s’est réel­le­ment déroulé ou qui a été uni­que­ment ima­giné. Plu­tôt que l’image-souvenir ou la recon­nais­sance atten­tive, res­tent les troubles et les échecs de la recon­nais­sance d’un cor­ré­lat optique des plus dou­teux. Dans cette pers­pec­tive, la recon­nais­sance tem­po­relle qui échoue à se main­te­nir dis­tinc­te­ment : tout se trouble et va rejoindre les autres impres­sions déta­chées de leur contexte en ce qui tient du para­doxe et de l’ubiquité.

jean-paul gavard-perret

Gay Talese, Le Motel du voyeur, Edi­tiond de Sous-sol, Paris, 2016.

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