Nea Borgel (photo : Théo Delil) a encore des peurs, mais niveau romantisme elle ne craint plus rien. Elle le décline néanmoins loin des chemins battus d’un lyrisme illusoire. Il existe des brisures mais les corps se donnent. Sachant que la vie est précaire, l’artiste ne cache rien d’Eros et de Thanatos. D’où l’importance de la peau contre la peau, de la chair contre la chair car la mort viendra bien assez vite. Bref, les images disent le plaisir, l’amour. Et Nea Borgel met les corps en exergue. Parfois, elle fait monter sur le pont d’un bateau ivre où la vie s’insurge, se fait insolente. L’éloge de la vie se crée par la chaleur de lèvres ouvertes. Et si elles ne promettent rien, elles donnent tout. Les corps fleurissent de leurs puits. A travers leurs vêtements ou dans leur nudité, ils dessinent des mouvements d’une danse nuptiale. Loin de toute parodie, l’artiste impose une vérité d’incorporation qui ose une frontalité vitale.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le désir de ne pas mourir, et mes enfants.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant je les réalise jour après jour et années après années, c’est long pour y arriver, et mon métier en fait partie, peindre mais aussi être libre, se soumettre le moins possible, faire de sa vie son œuvre.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à rentrer dans une case.
D’où venez-vous ?
Je viens d’une famille criarde dirons-nous, moitié très pratiquante, moitié baba-cool, toute immigrée de Tunisie, pour ma part je suis née à Paris intra muros, tendrement câlinée aux jurons en arabe de ma mère, non je plaisante ! Elle ne me câlinait pas.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
En dot, j’ai reçu la capacité de rebondir, la foi, et l’amour comme valeur majeure, même si bien sûr tout n’est pas si rose, et si l’amour prend parfois des figures de monstre, ma dot serait aussi la capacité à encaisser la souffrance.
Qu’avez-vous dû plaquer pour votre travail ?
Pour mon travail, j’ai plaqué 10 ans de mariage, des années d’idées reçues, des conventions sociales, un confort de vie, une stabilité, tout cela si rassurant en apparence et si fragile en dedans et surtout si triste que je n’en ai pas de regret, même si rôde toujours ce vieux démon qui nous rappelle que l’on pourrait bien mourir seul…
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Mon petit plaisir.… une entrecôte, un os à moelle, un bon vin, des amis qui jouent de la guitare, des enfants qui dansent, un pétard et faire l’amour. J’aime aussi partir à l’aventure, être sur la route, bref toutes sortes de pertes de conscience.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes et écrivains ?
Ce qui me distingue des autres artistes, peut-être d’une majorité, c’est que je suis difficilement étiquettable, sinon je n’en ai aucune idée je les trouve tous plus géniaux les uns que les autres.
Comment définiriez-vous votre approche du corps ?
Mon approche du corps a toujours été à la fois très libre et à la fois pleine de peurs, j’ai toujours vu dans le corps Eros et Thanatos s’affronter.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
hmm.…. « Thriller », le clip, de Michael Jackson, je devais avoir 7 ans, je me le passais en boucle, sinon peut être des photos de la Chapelle Sixtine dans un petit bouquin sur l’histoire de l’art, et mon premier film de cul.
Et votre première lecture ?
Ma première lecture devait être mon prénom je suppose
Quelles musiques écoutez-vous ?
D’un point de vue musical, je passe du rock au rap, je fais des pauses sur du ragga, j’aime les musiques épileptiques comme l’électro, et j’aime chanter et jouer la soul et la musique française.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Mon petit bouquin fétiche a été longtemps « E=mc2 mon Amour » de Patrick Cauvin, une histoire d’amour entre deux ados, elle parisienne et lui banlieusard, ces histoires de train ratés ou en retard pour réussir à se voir, échapper à l’autorité de l’école et des parents, en devenant adultes on se rend compte que tous ces bonheurs volés font la saveur de la vie.
Quel film vous fait pleurer ?
Il y a trop de films qui me font pleurer, sinon je pleure difficilement.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Dans un miroir je vois une femme que je ne connais pas et qui m’étonne de jour en jour.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais osé écrire aux gens qui ne savaient pas lire
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Aucun lieu n’a valeur de mythe a mes yeux, en tant qu’enfant d’immigrés mes racines sont à divers endroits, le seul lieu qui m’importe est le cœur de mes enfants.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Pour mon anniversaire, j’aimerais recevoir de l’amour
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Parmi les artistes dont je me sens proche il y a Marina Abramovic, Nikki de St Phalles, Sade, Prévert, Nietzsche, Spinoza, Eminem, Obey As Shepard Fairey, Yaacov Agam, Topor, Otto Dix, ce sont tous des artistes que j’admire.
Que défendez-vous ?
Je défends souvent la cause des femmes, j’ai peu de temps pour défendre des causes mais j’ai toujours été du côté de ceux que l’on met en marge. Je défends aussi une certaine forme de liberté vis-à-vis du corps et de la sexualité, permettre de conserver toujours ouvert cet espace d’expression et de liberté, toujours entre adultes consentants bien sûr.
Que vous inspire la phrase de Lacan “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
A chaque fois que j’ai été d’accord dans ma vie avec cette phrase de Lacan, c’est que j’étais malheureuse. Je crois plutôt que l’amour c’est donner quelque chose que l’on a appris à donner à quelqu’un qui a appris à le recevoir et vice versa…
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?
La phrase de Woody Allen me fait penser au pari de Pascal sur l’existence de Dieu, il vaut mieux parier oui statistiquement, plus sérieusement j’ai du mal avec W. Allen depuis qu’il est en couple avec sa belle-fille, j’aurais plutôt tendance à dire “Je suis Mia””…
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Oui, vous avez oublié de me demander si j’étais heureuse.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 8 décembre 2016.
Premièrement , je trouve particulièrement indispensable que des sites comme le vôtre existent.
Néa est sans doute une des rares vraies artistes contemporain(es) par la nécessité qu’elle ressent d’émettre une expression venant de son propre être, et qui la dépasse, qu’elle concrétise dans les arts plastiques, mais aussi dans la musique et dans son goût des autres ainsi que dans sa manière de vivre. Une personnalité qui flirte avec les limites en restant toujours en devenir.
Merci Theo Delil !