Voici un roman à la Conan Doyle écrit par une femme dont la belle langue classique sert une histoire surréaliste
Voici — youpi ! — un roman à la Conan Doyle écrit par une femme, Gisèle Prassinos. Une langue quelque peu classique pour une histoire surréaliste, à la manière sans nul doute des grands romanciers anglais. Le Visage effleuré de peine raconte la vie d’Essentielle, jeune fille mariée à un grand homme, mineur de fond de son état avant un accident qui lui troua le crâne, et duquel il réchappa grâce à la greffe d’un cerveau mécanique. Devenu savant, l’ex-mineur pourfend la science d’un tic-tac impeccable : son esprit synthétique est tout entier tourné vers la connaissance. Cependant, un rouage se grippe un jour, quand la mécanique se laisse envahir par un sentiment. A regarder sa jeune épouse alanguie, qui s’ennuie, à la voir enfin décidée à fuir, le tic-tac se dérègle, l’homme s’émeut, et surgit sur son long visage sérieux cette expression sensible qui bouleversera son histoire : le visage effleuré de peine.
Dès lors, le savant tombe en léthargie, et l’épouse au contraire se met à vivre. Faut-il qu’une responsabilité nous soit échue pour que le sens prenne ? Toujours est-il qu’on suivra alors Essentielle dans sa quête d’un remède, une manière de faire réapparaître le savant à lui-même. La rencontre de personnages divers — un singe, un assistant éploré, une clocharde londonienne — viendra peu à peu éclairer le passé du savant, dont Essentielle ne connaît rien. La jeune femme suit elle-même, itinéraire double et passionnant, le chemin de sa propre vie, de ses propres aspirations, rêves et méandres. Et l’on lit avec amusement chacun de ses fantasmes, chacune des poésies qu’elle invente pour forger une réalité manquante. Gisèle Prassinos voltige remarquablement entre conte fantaisiste et trame serrée, psychologie fine et aventure, drôlerie châtiée et monologues musicaux : un régal. A noter que la collection poche de Zulma, dans laquelle est parue ce Visage, compte deux autres titres de grande qualité (Ella Balaert et Hubert Haddad) : il semble qu’enfin un éditeur privilégie la qualité, et non pas la quantité…
s. lyonnard
Gisèle Prassinos, Le visage effleuré de peine, Zulma “Novella”, 2004, 140 p. — 6,50 €. Première édition : éditions du Cardinal, 2000, 172 p. — 15,09 €. |
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