Jean-Yves Le Naour, 1918. L’étrange victoire

Une série d’exception sur la Grande Guerre 

Jean-Yves Le Naour débute son livre par le récit du par­cours suivi par les plé­ni­po­ten­tiaires alle­mands jusqu’à la clai­rière de Rethondes. La délé­ga­tion se com­pose du ministre Mat­thias Erz­ber­ger, éter­nel oppo­sant au pan­ger­ma­nisme, du géné­ral von Win­ter­feldt, du capi­taine Van­se­low et du comte Obern­dorff, un ancien ambas­sa­deur. Ce sont tous des “seconds cou­teaux” car per­sonne, ni à Ber­lin ni à Spa, ne veut venir recon­naître la défaite. Les Natio­na­listes se sont déro­bés lais­sant aux Démo­crates la basse besogne tout en se pré­pa­rant à les accu­ser, bien­tôt, d’avoir trahi la patrie.
Ils sont nour­ris abon­dam­ment, alors que la famine règne à Ber­lin, pour bien mon­trer que la France est vrai­ment le vain­queur. Mais, avant d’en arri­ver là, à ces jours de début novembre, que de péri­pé­ties que de marches au bord du gouffre !
Il faut reve­nir fin 1917 où la situa­tion est confuse et l’avenir bien sombre. Deux stra­té­gies mili­taires s’opposent, celle de Pétain qui sou­haite une stra­té­gie défen­sive pour éco­no­mi­ser les effec­tifs et celle de Dou­glas Haig, chef du corps expé­di­tion­naire bri­tan­nique. Bien que ce der­nier vienne de perdre 250 000 hommes entre juillet et novembre 1917 en Flandres, il prône l’offensive, veut recom­men­cer à atta­quer au prin­temps. Le nombre de sol­dats est en baisse tant du côté fran­çais qu’anglais et ces der­niers rechignent à ame­ner d’autres com­bat­tants. De son côté, l’Allemagne est en pour­par­lers de paix avec la Rus­sie bol­che­vique, une paix qui lui per­met­tra de rame­ner un mil­lion de sol­dats vers l’Ouest.
Wil­son, le pré­sident amé­ri­cain n’est pas prêt à la guerre. Il veut espé­rer une solu­tion diplo­ma­tique et pro­pose un plan en qua­torze points qui sus­cite un cer­tain inté­rêt. Cle­men­ceau a été dési­gné le 16 novembre 1917 Pré­sident du Conseil et Ministre de la Guerre.

Luden­dorff a forgé, depuis l’automne 1917, une nou­velle tac­tique offen­sive. Le 21 mars 1918, il lance son armée à l’attaque des plaines de Picar­die. Et c’est la panique, la retraite. En quatre jours, le com­man­de­ment, les poli­tiques passent par toutes les cou­leurs. Les égo se fra­cassent les uns contre les autres. On pense sérieu­se­ment à éva­cuer Paris et le gou­ver­ne­ment juge oppor­tun de se reti­rer sur la Loire. Ce qu’il manque cruel­le­ment, c’est une unité de com­man­de­ment, une direc­tion unique qui doit per­mettre une meilleure uti­li­sa­tion de toutes les forces mili­taires tant fran­çaises qu’anglaises. Pétain est écarté au pro­fit de Foch qui devient après de mul­tiples trac­ta­tions, avec l’appui de Cle­men­ceau, le géné­ral en chef d’une coor­di­na­tion qui n’est pas un com­man­de­ment.
Et la situa­tion, qui sem­blait s’être réta­blie, se dété­riore au point que les Alle­mands sont à soixante kilo­mètres de Paris…

Jean-Yves Le Naour donne une vision claire, lucide des évé­ne­ments et des pro­ta­go­nistes. Avec sa connais­sance de la nature humaine, en coor­don­nant nombre de sources d’informations, en les rap­pro­chant, les syn­thé­ti­sant, assem­blant des faits, des décla­ra­tions, des articles de presse, il donne un éclai­rage com­plet sur la clique poli­tique, sur les com­man­de­ments et leurs guerres d’égo. Mais il n’oublie pas les acteurs du front, des offi­ciers subal­ternes à l’homme de troupe, ceux qui sont à l’arrière, tant du côté fran­çais, anglais qu’allemand.
Il brosse, de tous ces inter­ve­nants, des por­traits sai­sis­sants d’une grande finesse, les mon­trant dans leurs œuvres. Par exemple, pour Foch qui vient de se voir confier la coor­di­na­tion : “Foch en est réduit dans un pre­mier temps à ava­li­ser les déci­sions prises par Pétain et à faire du Foch, c’est-à-dire bras­ser de l’air et répé­ter les for­mules mar­tiales de la défense pied à pied”. Il ana­lyse les situa­tions avec une acuité frap­pante. Ainsi, avec sa for­mule per­cu­tante “Le futur créant son propre passé”, il décrit le fait que cha­cun, lorsque la vic­toire est sur les rails, se congra­tu­lera de la réa­li­sa­tion de ce com­man­de­ment unique, sans recon­naître que la pater­nité en revient, bien mal­gré lui, à Ludendorff.

Ce diable d’historien pos­sède un tel art du récit qu’il réus­sit l’exploit de trans­for­mer la rela­tion his­to­rique en thril­ler, de nous faire pen­ser, bien que la conclu­sion soit connue, ancrée dans les mémoires, que la fin sera dif­fé­rente, de nous ame­ner à une autre conclu­sion. Avec 1918. L’étrange vic­toire et les autres tomes de sa série, Jean-Yves Le Naour signe des récits vivants, d’une grande éru­di­tion, bref, du grand art nar­ra­tif appuyé sur une docu­men­ta­tion exhaustive.

serge per­raud

Jean-Yves Le Naour, 1918. L’étrange vic­toire, Per­rin, octobre 2016, 416 p.- 23,00 €.

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