Parfait iconoclaste, le peintre italien Francesco Clemente se bat avec le tableau pour qu’en jaillisse un théâtre particulier dans des montages ludiques d’humains ou de choses. Entre art naïf et minimalisme revisités, l’artiste propose son propre type d’hybridations afin de renverser les motifs classiques de la peinture (surtout le portrait) avec profondeur, humour et alacrité propres à une figuration solaire qui doit à la lumière napolitaine.
La perspective sidérante jaillit autant par effet de matière que de pose. Chaque œuvre crée une lumière étrange sur des figurations croquées avec une convulsion implicite ou se mêle de manière insidieuse l’horreur à l’extase. Un mystère en jaillit selon des ensembles cohérents mais énigmatiques. Le monde devient aussi « planté » que flottant là où l’angoisse et l’attente se disent par la douceur et les couleurs d’une fable optique qui remplace le discours “lorsque les mots vous lâchent” (Beckett).
La fixité se double de mouvements. Le portrait s’ouvre littéralement de manière violente mais tempérée par le ludique. La peinture semble «oublier» son projet, l’efface selon des perspectives profondes pour que la réalité soit plus errante. Traces et couleurs dans l’espace du tableau font que quelque chose de neuf se passe et passe. Des lèvres sont entrouvertes mais ne laissent le passage qu’à des éléments pressants et a priori superfétatoires. Ils donnent à la figuration une sorte d’abîme et d’inquiétude.
De fait, la matière de jouissance est « huberisée » d’emmêlements et de placages qui plutôt que de créer des convergences fabriquent « du » monstre. Il n’a rien de ceux de la science-fiction. L’ « alien » se rapproche de nous. Voici nos semblables, nos frères par le brouillage d’une forme d’évidence faussement enfantine.
Francesco Clemente casse la maîtrise qu’il possède totalement avec acharnement en vue d’un absolu inédit. Détruisant sa facilité, l’artiste crée un univers que Goya aurait apprécié. Chaque pièce devient un piège. Au-delà de l’image surgit l’appel au mouvement dans le creux des formes ou sur leurs pointes.
jean-paul gavard-perret
Francesco Clemente, Pirate Heart, Galerie Daniel Templon, Paris, du 5 novembre au 23 décembre 2016.