Emmanuel Laugier traverse les paysages, urbains entre autres : mais de nouveaux signes — ceux de l’intime — sont ajoutés au décor du réel afin que jaillisse une profondeur de vue par une lueur sortie du dedans. L’œil bande devient le topique des portes et des fenêtres étranges par où le flux de l’existence intérieure passe. Du visible à l’invisiblen le poème se transforme en organisme vivant où le temps est déployé. Selon la formule fameuse, « l’œil écoute » : il éprouve la vibration du monde entre aveuglement et excitation sensorielle.
Complexe mais en rien hermétique, le regard enfourne « tant de choses (qui) rentrent dedans/ immobiles font une et un qui rentrent / une bordure un tas / un village un bourg un ravin / l’un dans l’autre / le moteur qu’on entend et pas dans les arbres noirs / dans la plaine des phares qui tournent.» Et tout se met à naviguer de manière pascalienne, de l’infiniment petit à l’infiniment grand jusqu’à dégager de nouveaux universaux qui permettent de lire l’humain.
Laugier crée donc un monde qui ne se ferme pas. Son oeuvre est comparable à la “Passante” de Baudelaire : sa douceur fascine mais néanmoins ici le plaisir ne tue pas. Dans un jeu de lumières, de bruits et de traces le poète donne une inconsistance complexe à ce qui demeurera une vie secrète.
Reste néanmoins le dialogue irénique entre les objets perçus et le sens que celui qui le capte de son regard bipolaire - vu le double jeu de la forme verbale “bande”- ne cesse de lui accorder.
jean-paul gavard-perret
Emmanuel Laugier, L’œil bande, Editions Unes, Nice, 2016, 128 p. - 20,00 €.