Cartes du Tendre pour un nouveau millénaire
Respectant une règle simple proposée par Guy Rouquet, 17 écrivains francophones ont émis en quelques pages leur expérience de lecteur de poésie et ont offert la liste de leurs dix poèmes préférés. L’ensemble est passionnant. Et ce, pour trois raisons. Les invités ne sont pas ceux que l’on rencontre partout. Ils sont tous — à un degré ou un autre — très proches de la poésie voire poètes eux-mêmes : Guy Goffette, Eric Brogniet, Vénus Khoury-Ghata, Salah Stétié, Jacques Temple entre autres. Enfin et surtout, ce qu’ils disent est riche et non seulement de mémoires torrentielles de savoirs obsolètes. L’avenir de la poésie et de la littérature ne sont pas en vacance. Emane de l’ensemble une vérité intempestive et intransigeante. Une vérité de désir, de plénitude et de lendemains qui chantent sans pour autant que le lyrique soit de sortie.
Les auteurs ont trouvé dans leurs lectures des lettres en flammes, des lieux où les chats sautent sur les lions. Les poésies choisies n’ont pas que le calme des lagunes et la nostalgie du présent. Les invités y ont trouvé des inquiétudes, des cicatrices, des petits bonheurs, des grandes révélations. Jacques Tornay par exemple a « subi » l’entrée dans la poésie plus qu’il ne l’a suscité : « Elle m’a été facilitée par les réponses insuffisantes que les adultes apportaient à mes questions d’enfant. Par le fait aussi que rien dans les discussions autour de moi ne m’intéressaient vraiment ». André Schmitz quant à lui a compris que « la poésie a ses raisons que la raison ne devine même pas ». Enfin, pour Vénus Khoury-Ghata, tout est parti d’une poésie « qui n’en était pas » mais qui reste une des plus belles qui soient : celle du « Dépeupleur » de Beckett.
Les 17 écrivains parlent sans esbroufe à l’image des poètes qu’ils retiennent et qui sont autant d’occasion de lecture ou de relecture. Ils prouvent que, grâce à la poésie, le monde et ses locataires, leurs ambitions, leurs vanités se hiérarchisent de façon différente loin des mirages des idées reçues ou des plages au sable gris. Si bien que nous en oublions nos fièvres puerpérales, les clés où nous stockons pour rien certains souvenirs et larmes, nous perdons aussi nos cartes et nos boussoles, nos batailles imaginées décisives.
Bref, la poésie fait bouger les lignes sans chercher de recettes ou de faux nez. Face aux pétards mouillés, elle apprend à préférer les éclairs de l’être et les cryptogrammes de l’âme — et aussi ceux du corps. Lorsque nous perdons le fil, elle devient la seule philosophie en acte : elle ramène du dadaïsme, fût-il médiéval, à un état sauvage et nous apprend à devenir les primitifs du futur qui reste à inventer autrement qu’il semble se dessiner.
jean-paul gavard-perret
Collectif, Lignes de cœur — 17 écrivains disent leur rapport à la poésie, L’Atelier Imaginaire, Le Castor Astral, 2016, 240 p. — 15 ‚00 €.
Belle et enthousiaste lecture de JP Gavard-Perret, qui souligne, en ces temps troublés, les lignes de force souterraines qui font du poème un véhicule du changement.