Yann Verrier a compris que pour construire une œuvre il faut du temps. La création instantanée n’est que le fruit d’une longue patience. L’immanence qu’elle offre est un ensemble infini de mouvements et implique le temps comme variable. Mais le photographe le met entre parenthèse : il ne se distingue plus des mouvements que l’artiste opère sur lui. La variation ou l’immobilité implique le temps : chaque photographie devient un espace-temps, une coupe instantanée ou prolongée. Mais les premières aussi comprennent le temps. La perspective est certes spatiale mais aussi temporelle. Elle implique le temps comme variable du mouvement.
Jouant de l’argentique pour une certaine valeur de flou et du numérique pour sa précision, Yann Verrier crée une poétique de la ville à travers ses “tableaux parisiens” (Baudelaire). Tout dans son travail est de l’ordre de la perfection. Et lorsque l’artiste quitte la narration pour l’évocation, Paris devient un ensemble d’horizontales, de verticales et d’obliques.
Le mouvement ne cesse de se propager même lorsque le photographe saisit la fixité des murs car la lumière les épouse. Demeure l’infime mouvement de son souffle qui se propage. Il est arrêté uniquement par l’opacité que le photographe souhaite. La poétique urbaine se diffuse entre les murs, sur les surfaces, dans les flaques. Son devenir ne cesse pas de changer. C’est pourquoi il faut du temps pour de telles images. De l’intervalle, du mouvement. Pour qu’elles le reçoivent. Et le rendent. Afin d’atteindre le cerveau, les émotions.
Yann Verrier contrôle ses images : il isole l’action, anticipe sur elle. Il permet aussi de produire des actions retardées. Des actions qui ne découlent pas immédiatement de l’action subie. A cela se reconnaissent les images vivantes, cérébrales, affectives. Cela semble facile. Mais pourtant ce n’est pas facile d’écarteler le mouvement reçu et le mouvement exécuté. Et l’histoire du mouvement c’est le plan; c’est la lumière et sa propagation. Avec l’impression qu’il n’y a pas une conscience qui vient éclairer les images du dehors (mais c’est faux) comme si elles n’en avaient pas besoin (idem).
La ville devient lumineuse par elle-même en une clarté noire. Cela devient une fascinante histoire. D’images qui s’ouvrent. Parce qu’elles ont un corps. Mais aussi un cerveau. D’où leur haut niveau de complexité là où l’écran noir du point de vue de la lumière et celui du mouvement se correspondent.
C’est sans doute pourquoi nous avons soudain l’impression que ces images nous attendent. Qu’elles n’attendent que nous. Nous savons que nous nous trompons. Mais qu’importe : elles font ce que les mots ne font pas. Nous retenons leur plan d’immanence et leur coupe mobile ou immobile. Elles ont un rapport plus intime avec un regard qui, grâce à elles, devient moins myope.
jean-paul gavard-perret
Yann Verrier, E-space, Corridor Elephant éditions, Paris (2016) et exposition chez l’éditeur.
J’apprécie Beaucoup la démarche de Yann Verrier.