L’auteur place son récit dans une zone rurale de l’Ouest de la France. Cependant, celui-ci pourrait se dérouler n’importe où en France. Autour d’un colosse sans morale, qui fait régner la terreur par la force et la violence, il agrège une galerie d’individus venus de tous les milieux sociaux. Il compose tous les échelons des réseaux criminels, depuis les jeunes toxicomanes jusqu’au fournisseur en gros des drogues dures, les jeunes filles venues de l’Europe de l’Est ou celles, sans attaches, confiées aux structures sociales.
Entre la prostitution et la drogue, les deux étant très liées, la première étant souvent la conséquence de la seconde, le romancier dresse un tableau particulièrement noir, sordide. Il décrit avec précision, les rouages, les mécanismes, les liens entre les délinquants, la manière dont les criminels organisent leur impunité en faisant en sorte de pouvoir peser sur ceux qui pourraient dénoncer ces situations odieuses. Comme ces journées de chasse où sont conviés tous les notables, journées qui commencent par un gueuleton et une beuverie, et qui se clôturent, le soir venu, par des orgies avec de jeunes prostituées soumises à toutes les humiliations et tortures.
Pour fêter ses quinze ans, un groupe d’hommes nus entourent Kimy et lui chantent : “Joyeux anniversaire salope, joyeux anniversaire salope…” Elle a maintenant dix-huit ans et elle vient de subir un “forfait complet” qui lui a déchiré le bas-ventre. En se promenant, elle voit, près d’une maison, un homme rire en lisant un livre. La sonnerie du téléphone le fait rentrer en laissant son livre sur place. Dans un réflexe irraisonné, elle s’en empare, elle qui ne lit jamais, ayant eu une scolarité très chaotique. Le lycée, pour elle, n’est que le lieu où elle a une bonne clientèle pour dealer. Si elle a dû se prostituer, elle ne veut plus aujourd’hui que se contenter d’écouler des drogues pour Jacky Mauchrétien, dit l’Ours… son père. Celui-ci, sous la couverture d’exploitant forestier tient, avec son jeune frère Dany, une boîte de nuit, base d’un réseau étoffé de prostitution et de drogues. Kimy rapporte le livre qu’elle a “emprunté” et fait la connaissance d’Henri, un prof dont la vie a été saccagée par la mort de sa fille. Après des séjours en psychiatrie, il reste sous la dépendance de calmants. Par le biais des livres, de la soif de découverte de la littérature à laquelle il l’initie, elle s’attache à lui.
Mais la jeune fille veut se venger, se libérer de ce père qui continue de la terroriser et de tous ceux qui l’ont meurtrie. Elle réussit à copier toutes les vidéos faites par l’Ours lors des orgies qu’il organise et obtient l’aide d’Henri quand il découvre, sur un de ces films, le responsable de la mort de sa fille, celui qui l’a violée et étranglée.Néanmoins, face à un réseau structuré, à des individus prêts à tout pour rester en place et assouvir leurs vices, comment un duo aussi désarmé peut-il l’emporter ?
En suivant le parcours des principaux protagonistes du récit, l’auteur expose les réflexions, les sentiments, les ressentis, les besoins, les désirs des uns et des autres, des plus noirs aux moins coupables. Terrorisée par un père sans scrupules, Kimy devenue majeure veut se venger de tout ce qu’elle a dû subir. Elle trouve un soutien et, à deux, ils mettent en place les éléments de leur vengeance, à savoir la destruction des réseaux, la ruine des responsables et leur châtiment humain.
Mathias Köping ne fait pas dans la dentelle et donne un récit documenté, mettant en scène tous les acteurs de tels drames,dans un roman dur, âpre, cruel, violent où la langue de bois et les bons sentiments n’ont pas leur place où les situations sont crûment décrites avec réalisme. L’intrigue, fort bien structurée, est prenante, monte en tension jusqu’à une conclusion dans l’esprit du livre.
Un roman choc sur cet univers où la détresse la plus profonde voisine avec l’immoralité la plus totale.
serge perraud
Mattias Köping, Les Démoniaques, Éditions Ring, coll. “Ring noir”, août 2016, 400 p. – 21,00 €.