Mattias Köping, Les Démoniaques

Un récit sans concessions 

L’auteur place son récit dans une zone rurale de l’Ouest de la France. Cepen­dant, celui-ci pour­rait se dérou­ler n’importe où en France. Autour d’un colosse sans morale, qui fait régner la ter­reur par la force et la vio­lence, il agrège une gale­rie d’individus venus de tous les milieux sociaux. Il com­pose tous les éche­lons des réseaux cri­mi­nels, depuis les jeunes toxi­co­manes jusqu’au four­nis­seur en gros des drogues dures, les jeunes filles venues de l’Europe de l’Est ou celles, sans attaches, confiées aux struc­tures sociales.
Entre la pros­ti­tu­tion et la drogue, les deux étant très liées, la pre­mière étant sou­vent la consé­quence de la seconde, le roman­cier dresse un tableau par­ti­cu­liè­re­ment noir, sor­dide. Il décrit avec pré­ci­sion, les rouages, les méca­nismes, les liens entre les délin­quants, la manière dont les cri­mi­nels orga­nisent leur impu­nité en fai­sant en sorte de pou­voir peser sur ceux qui pour­raient dénon­cer ces situa­tions odieuses. Comme ces jour­nées de chasse où sont conviés tous les notables, jour­nées qui com­mencent par un gueu­le­ton et une beu­ve­rie, et qui se clô­turent, le soir venu, par des orgies avec de jeunes pros­ti­tuées sou­mises à toutes les humi­lia­tions et tortures.

Pour fêter ses quinze ans, un groupe d’hommes nus entourent Kimy et lui chantent : “Joyeux anni­ver­saire salope, joyeux anni­ver­saire salope…” Elle a main­te­nant dix-huit ans et elle vient de subir un “for­fait com­plet” qui lui a déchiré le bas-ventre. En se pro­me­nant, elle voit, près d’une mai­son, un homme rire en lisant un livre. La son­ne­rie du télé­phone le fait ren­trer en lais­sant son livre sur place. Dans un réflexe irrai­sonné, elle s’en empare, elle qui ne lit jamais, ayant eu une sco­la­rité très chao­tique. Le lycée, pour elle, n’est que le lieu où elle a une bonne clien­tèle pour dea­ler. Si elle a dû se pros­ti­tuer, elle ne veut plus aujourd’hui que se conten­ter d’écouler des drogues pour Jacky Mau­chré­tien, dit l’Ours… son père. Celui-ci, sous la cou­ver­ture d’exploitant fores­tier tient, avec son jeune frère Dany, une boîte de nuit, base d’un réseau étoffé de pros­ti­tu­tion et de drogues. Kimy rap­porte le livre qu’elle a “emprunté” et fait la connais­sance d’Henri, un prof dont la vie a été sac­ca­gée par la mort de sa fille. Après des séjours en psy­chia­trie, il reste sous la dépen­dance de cal­mants. Par le biais des livres, de la soif de décou­verte de la lit­té­ra­ture à laquelle il l’initie, elle s’attache à lui.
Mais la jeune fille veut se ven­ger, se libé­rer de ce père qui conti­nue de la ter­ro­ri­ser et de tous ceux qui l’ont meur­trie. Elle réus­sit à copier toutes les vidéos faites par l’Ours lors des orgies qu’il orga­nise et obtient l’aide d’Henri quand il découvre, sur un de ces films, le res­pon­sable de la mort de sa fille, celui qui l’a vio­lée et étranglée.Néanmoins, face à un réseau struc­turé, à des indi­vi­dus prêts à tout pour res­ter en place et assou­vir leurs vices, com­ment un duo aussi désarmé peut-il l’emporter ?

En sui­vant le par­cours des prin­ci­paux pro­ta­go­nistes du récit, l’auteur expose les réflexions, les sen­ti­ments, les res­sen­tis, les besoins, les désirs des uns et des autres, des plus noirs aux moins cou­pables. Ter­ro­ri­sée par un père sans scru­pules, Kimy deve­nue majeure veut se ven­ger de tout ce qu’elle a dû subir. Elle trouve un sou­tien et, à deux, ils mettent en place les élé­ments de leur ven­geance, à savoir la des­truc­tion des réseaux, la ruine des res­pon­sables et leur châ­ti­ment humain.
Mathias Köping ne fait pas dans la den­telle et donne un récit docu­menté, met­tant en scène tous les acteurs de tels drames,dans un roman dur, âpre, cruel, violent où la langue de bois et les bons sen­ti­ments n’ont pas leur place où les situa­tions sont crû­ment décrites avec réa­lisme. L’intrigue, fort bien struc­tu­rée, est pre­nante, monte en ten­sion jusqu’à une conclu­sion dans l’esprit du livre.
Un roman choc sur cet uni­vers où la détresse la plus pro­fonde voi­sine avec l’immoralité la plus totale.

serge per­raud

Mat­tias Köping, Les Démo­niaques, Édi­tions Ring, coll. “Ring noir”, août 2016, 400 p. – 21,00 €.

 

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Filed under Pôle noir / Thriller

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