Charles Lambert, La maison des enfants

La chute n’aura de gran­diose que le délire dans lequel elle se perd

L’esthé­tique du roman est, pour ainsi dire, irré­pro­chable. L’auteur maî­trise une plume sophis­ti­quée et élé­gante qui n’en reste pas moins facile et agréable à lire. Elle favo­rise une lec­ture addic­tive et les pages défilent sans que l’on s’en rende vrai­ment compte. Mais c’est bien la seule chose qui sauve la fin de l’intrigue de la déroute. Si le New York Times qua­li­fiait l’histoire d’étrange, nous ose­rons ajou­ter que son der­nier tiers s’enlise dans un délire baroque auquel il est dif­fi­cile d’adhérer.

Depuis son acci­dent, Mor­gan Flet­cher vit en dehors du monde, reclus dans le grand manoir qu’il a hérité de ses parents. Il n’ose aucun contact social autre que celui qu’il entre­tient avec sa gou­ver­nante. Et voilà que, sor­tis de nulle part, deux très jeunes enfants frappent à sa porte. Il accepte de les recueillir, tout comme ceux qui, en nombre, vien­dront mys­té­rieu­se­ment le rejoindre par la suite. L’enfant David semble prendre la tête de cette étrange com­mu­nauté, à la fron­tière du réel, qui, recher­chant quelque chose qu’elle n’arrive ni à défi­nir ni à trou­ver, rythme désor­mais la vie du manoir, comme celles de Mor­gan et du méde­cin avec lequel il se lie d’amitié. Lorsque les ser­vices sociaux, aler­tés de la pré­sence sus­pecte d’enfants au manoir, emmènent le tout pre­mier d’entre eux, David pousse Mor­gan à sor­tir de sa réclu­sion pour le retrou­ver et remon­ter, par la même occa­sion, aux ori­gines de sa for­tune. Mor­gan décou­vrira alors l’horreur qu’elle cache.

« Plai­sirs »

On aime la pre­mière moi­tié du roman. L’histoire est intri­gante, la prose sub­tile, envoû­tante, poé­tique. Avec un plai­sir évident, on s’installe dans la vie et le manoir de Mor­gan. On y apprend la rai­son tra­gique qui l’y cloître, seul, avec sa gou­ver­nante. On y découvre son pré­sent et le passé qui en est à l’origine, hanté par une mère tyran­nique, un père absent et un grand-père idéa­lisé. Non sans curio­sité et avec un natu­rel qui ne va pour­tant pas de soi, on y laisse entrer un, deux, trois puis une ribam­belle d’enfants qui viennent s’y réfu­gier, ainsi qu’un méde­cin. S’ils occupent une place cen­trale dans l’histoire comme dans le manoir, on se sait trop d’où ils viennent, ni ce qu’ils font là, sinon qu’ils cherchent quelque chose.
Mais qu’importe le flou (artis­tique ?) qui règne sur la rai­son de leur pré­sence. On a été pré­venu par la qua­trième de cou­ver­ture : le conte a quelque chose de gothique, qui rap­pro­chera le lec­teur de Gai­man, Pull­man ou encore Bur­ton. Quant à leur réa­lité, le doute s’installe, bien aidé en cela par cette même qua­trième, qui ne manque pas de nous mettre la puce à l’oreille en rap­pe­lant le titre d’un film avec lequel le lec­teur pour­rait faire un parallèle.

Et l’auteur de nous faire che­mi­ner au milieu de cet uni­vers étrange avec des phrases cali­brées, évo­ca­trices et sai­sis­santes qui dis­til­lent peine, angoisse, soli­tude, détresse, folie, hor­reur, résur­rec­tion, espoir et qui nous poussent à aimer Mor­gan et à attendre de ceux qui viennent subi­te­ment de l’entourer qu’ils le libèrent de sa réclu­sion volon­taire (à moins, en réa­lité, qu’il n’appartienne à Mor­gan de les libé­rer). Les pistes sont nom­breuses, l’imagination s’emballe, et l’auteur incen­die avec talent notre envie de savoir, de décou­vrir ce qui se cache der­rière sa sombre ima­gi­na­tion. Et on se dit (on espère) que la chute ne pourra être qu’à l’image de ce qui la pré­pare : gran­diose, dans sa réa­lité ou dans son mythe, dans sa beauté ou dans sa lai­deur, dans l’espoir ou dans le déses­poir qu’elle évo­quera. Erreur.

« Regrets et reproches »

Erreur, parce que la chute n’aura de gran­diose que le délire dans lequel elle se perd. Même si le style est tou­jours au rendez-vous, le sens et la por­tée du conte, tels qu’ils sem­blaient nous avoir été pro­po­sés dans la pre­mière moi­tié du roman (ou tels que nous sem­blions les avoir inter­pré­tés, peut-être à tort), se rata­tinent dans sa seconde moi­tié et dans un épi­logue, tous deux abra­ca­da­bran­testes, dont on cherche vai­ne­ment la signi­fi­ca­tion. On a cette sen­sa­tion que le dénoue­ment, outre son carac­tère décalé et sau­grenu, part « en roue libre » et ne se rat­tache ni à la logique (intui­tive) qui nous fai­sait che­mi­ner dans l’histoire et dans la vie des per­son­nages, ni même à la pré­sence des enfants auprès de Mor­gan (qui sous-tendait pour­tant la construc­tion de l’ouvrage) dont l’explication, bâclée en quelques lignes seule­ment, s’avère plus « utile » que convain­cante. La lai­deur et l’espoir (en demi-teinte) que ce dénoue­ment trans­pire deviennent alors orphe­lins d’origines, de sens et d’intérêt, bien que ledit dénoue­ment ne man­quât pas d’originalité.
On cherche enfin le sens poli­tique que cette fable pour­rait recé­ler, comme nous invite à le faire, encore, la qua­trième de cou­ver­ture. Mais on a beau s’adonner à la com­pa­rai­son, l’extrapolation, l’hyperbole, la para­bole, on le trouve dif­fi­ci­le­ment. Ou alors, au prix d’un effort d’imagination incer­tain et tortueux.

dar­ren bryte

Charles Lam­bert, La mai­son des enfants, Anne Car­rière, 3 novembre 2016, 250 p. – 20,00 €

 

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Filed under Science-fiction/ Fantastique etc.

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