Hadley Hudson interroge de manière particulière des icônes de la mode. A savoir les modèles. Ces femmes et hommes d’image sont saisis hors scène : dans leurs appartements. Leur intimité révèle une bien autre « persona ». Les mannequins — apprentis ou déjà confirmés — ont bien sûr une certaine beauté mais pas forcément de grâce. Mais l’empathie de la photographe laisse les corps parler comme les modèles l’ont désiré. Leur vision est bien loin de celle offerte dans les magazines de mode. Délivrés des mises en scène des couturiers, les jeunes êtres ressemblent à des errants. Certains prennent encore la pose, d’autres semblent plus désemparés, quel que soit leur âge ou leur genre.
Les clichés refusent le mépris et laissent leur liberté aux êtres. Le travail reste intime mais rend néanmoins captifs ceux qui le sont de l’image qu’ils veulent donner. Le regardeur entre sans voyeurisme subi ou pathos : un courant sourd avance avec ses remous tant les prises demeurent intelligentes, sensibles mais cruelles.
Hadley Huston remonte le cours de l’identité afin que jaillissent les “pièces” démantelées de ceux qui, encore presqu’enfants, ressemblent à des pantins en déglingue. Ils possèdent la tristesse de fantôme en une approche sans maniérisme. Pas d’art pour l’art : juste le ruissellement du corps pour retourner le réel afin de savoir ce qui se passe derrière et réinventer de l’intime dans la manière de photographier ceux qui sont, un temps, des passeurs de rêves. Ceux-là ne sont pas forcément faits pour eux.
jean-paul gavard-perret
Hadley Hudson, Persona, Models at Home, Texte de Michael Gross, Hatje Cantz éditions, Berlin, 2016.