André Malraux, Malraux face aux jeunes (Mai 68, avant, après. Entretiens inédits)

Malraux l’Indépendant

Retrou­ver Mal­raux est tou­jours un plai­sir. Du verbe. De la pen­sée. Ces entre­tiens le prouvent. Publiés avec l’obligeance de Flo­rence Mal­raux, s’ils ne comblent pas un vide, du moins ajoutent-ils de la pré­sence à la pré­sence du rhé­teur et du pen­seur que les dorures des minis­tères et de la noto­riété n’altèrent en rien. Sa superbe emporte le lec­teur. Ques­tionné sur le rap­port à l’Alsace dans ses Anti­mé­moires et dans Les mots de Sartre, Mal­raux pique à fleu­ret mou­cheté : « Mes sym­pa­thies pour l’Alsace étaient pré­mo­ni­toires. Celles de Sartre sont héré­di­taires et, somme toute, cou­rantes ».
Mal­raux est de ceux qui avec le temps ont pris de la car­rure. Certes, il module ses credo pre­miers mais il rap­pelle que toute grande per­son­na­lité his­to­rique vit aux dépens des masses qui l’écoutent. Anti­ci­pant l’avenir, il prouve que si les « grands » hommes ont eu une impor­tance majeure dans l’histoire du XXème siècle, « je ne pense pas que cela puisse conti­nuer ainsi ». L’histoire lui a donné rai­son : la farce Clinton/Trump l’illustre.

Revi­si­tant l’époque de Mai 68, Mal­raux remet aussi les pen­dules à l’heure. Le mou­ve­ment lui semble « plus proche des anciennes jac­que­ries que de la révo­lu­tion » et d’ajouter : « nous sommes dans une civi­li­sa­tion qui n’aura pas la même révo­lu­tion que les civi­li­sa­tions qui l’ont pré­cé­dée ». Il en va de même quant à la ques­tion de Dieu : elle se pose dans des termes bien dif­fé­rents même si cette ques­tion est « inépui­sable ».
Comme le sou­ligne Michel Crépu dans sa pré­face, Mal­raux reste avec Camus et à un degré moindre Sartre celui qui « arrache aux temps obs­curs que nous vivons un peu de secret de l’histoire humaine ». Pour autant, l’auteur ne prêche pas un huma­nisme à tout crin. Sa pen­sée est plus pro­fonde, trouble : pas de linéa­rité ou d’exponentielle spi­ri­tua­liste. Ce qui ne veut pas dire que l’auteur de  Lazare  soit revenu de tout : mais il fait preuve d’une indé­pen­dance d’esprit.

Sa posi­tion poli­tique au sein du Gaul­lisme l’a quelque peu occul­tée. Néan­moins, l’auteur montre la « varia­bi­lité » et la dua­lité des pré­ten­dues assu­rances des idéo­lo­gies de toute engeance. Mais fidèle à qui il fut, il laisse la part belle à l’engagement. En ren­dant au pas­sage un coup de cha­peau à Regis Debray. Recon­tex­tua­lisé en son action (en plus “beau” fils des révo­lu­tions, il dut se conten­ter de s’offrir à de moindres com­bats), il rap­pelle à par­tir de son exemple que « Si on se mêle de la Boli­vie, est-ce qu’on va en Boli­vie ou au Café de Flore ? C’est l’un ou l’autre ». Belle leçon de vieillesse à la jeu­nesse. Mais pas seulement.

jean-paul gavard-perret

André Mal­raux, Mal­raux face aux jeunes (Mai 68, avant, après. Entre­tiens inédits), Gal­li­mard, Folio, Paris, 2016, 102 p. - 2,00 €.

1 Comment

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One Response to André Malraux, Malraux face aux jeunes (Mai 68, avant, après. Entretiens inédits)

  1. Nicolas Mouton

    Merci pour votre belle lec­ture de ce livre que j’ai eu grand plai­sir a conce­voir, mettre en forme et pos­fa­cer — la belle pré­face de Michel Crépu n’ayant été rajou­tée qu’ensuite.
    Il faut pré­ci­ser aussi que ces deux entre­tiens sont extrê­me­ment rares, en par­ti­cu­lier le second, qui vient d’Allemagne.
    Ces entre­tiens peuvent consti­tuer une intro­duc­tion, ou un com­plé­ment, aux Anti­mé­moires.
    Merci encore de votre curiosité.

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