Retrouver Malraux est toujours un plaisir. Du verbe. De la pensée. Ces entretiens le prouvent. Publiés avec l’obligeance de Florence Malraux, s’ils ne comblent pas un vide, du moins ajoutent-ils de la présence à la présence du rhéteur et du penseur que les dorures des ministères et de la notoriété n’altèrent en rien. Sa superbe emporte le lecteur. Questionné sur le rapport à l’Alsace dans ses Antimémoires et dans Les mots de Sartre, Malraux pique à fleuret moucheté : « Mes sympathies pour l’Alsace étaient prémonitoires. Celles de Sartre sont héréditaires et, somme toute, courantes ».
Malraux est de ceux qui avec le temps ont pris de la carrure. Certes, il module ses credo premiers mais il rappelle que toute grande personnalité historique vit aux dépens des masses qui l’écoutent. Anticipant l’avenir, il prouve que si les « grands » hommes ont eu une importance majeure dans l’histoire du XXème siècle, « je ne pense pas que cela puisse continuer ainsi ». L’histoire lui a donné raison : la farce Clinton/Trump l’illustre.
Revisitant l’époque de Mai 68, Malraux remet aussi les pendules à l’heure. Le mouvement lui semble « plus proche des anciennes jacqueries que de la révolution » et d’ajouter : « nous sommes dans une civilisation qui n’aura pas la même révolution que les civilisations qui l’ont précédée ». Il en va de même quant à la question de Dieu : elle se pose dans des termes bien différents même si cette question est « inépuisable ».
Comme le souligne Michel Crépu dans sa préface, Malraux reste avec Camus et à un degré moindre Sartre celui qui « arrache aux temps obscurs que nous vivons un peu de secret de l’histoire humaine ». Pour autant, l’auteur ne prêche pas un humanisme à tout crin. Sa pensée est plus profonde, trouble : pas de linéarité ou d’exponentielle spiritualiste. Ce qui ne veut pas dire que l’auteur de Lazare soit revenu de tout : mais il fait preuve d’une indépendance d’esprit.
Sa position politique au sein du Gaullisme l’a quelque peu occultée. Néanmoins, l’auteur montre la « variabilité » et la dualité des prétendues assurances des idéologies de toute engeance. Mais fidèle à qui il fut, il laisse la part belle à l’engagement. En rendant au passage un coup de chapeau à Regis Debray. Recontextualisé en son action (en plus “beau” fils des révolutions, il dut se contenter de s’offrir à de moindres combats), il rappelle à partir de son exemple que « Si on se mêle de la Bolivie, est-ce qu’on va en Bolivie ou au Café de Flore ? C’est l’un ou l’autre ». Belle leçon de vieillesse à la jeunesse. Mais pas seulement.
jean-paul gavard-perret
André Malraux, Malraux face aux jeunes (Mai 68, avant, après. Entretiens inédits), Gallimard, Folio, Paris, 2016, 102 p. - 2,00 €.
Merci pour votre belle lecture de ce livre que j’ai eu grand plaisir a concevoir, mettre en forme et posfacer — la belle préface de Michel Crépu n’ayant été rajoutée qu’ensuite.
Il faut préciser aussi que ces deux entretiens sont extrêmement rares, en particulier le second, qui vient d’Allemagne.
Ces entretiens peuvent constituer une introduction, ou un complément, aux Antimémoires.
Merci encore de votre curiosité.