C’est vrai, Frédéric Mitterrand, d’abord on l’écoute. On s’imprègne de cette voix reconnaissable entre toutes pour mieux être bercé par la beauté des images choisies dans ces documentaires, enivré par les musiques qui les portent, touché par la profondeur des analyses psychologiques des personnages historiques qu’ils nous fait découvrir et parfois aimer. Mais Frédéric Mitterrand est aussi un homme de lettres, un écrivain, qui connaît la force des mots, qui sait qu’une phrase se construit pour mieux être comprise et sait, en quelques termes, décrire la complexité du monde, des individus et de l’histoire.
Ses deux séries documentaires, Les aigles foudroyés et Mémoires d’exil, firent honneur à la télévision. Félicitons-nous aujourd’hui de la publication de deux livres qui en sont tirés. Le premier raconte la chute des grandes dynasties qui gouvernaient encore l’Europe civilisée d’avant 1914. En décrivant le rôle des monarques encore influents en politique étrangère, leurs liens de famille, leurs amours et leurs haines, leurs blessures, il rappelle que ce sont des hommes, et en particulier les dirigeants, qui font l’histoire. Certains le payèrent de leur vie, comme le montre la lente descente vers la mort des Romanov, d’autres au prix de leur réputation devant l’histoire comme le Kaiser. Tous en tout cas étaient liés à ce système Victoria qui laissa la place à une Europe déchirée et mutilée.
Car, une fois la Grande Catastrophe de 1914 achevée, que devinrent les descendants des souverains détrônés ? Le lecteur l’apprendra grâce à Mémoires d’exil dont le principal intérêt est de faire surgir de l’ombre des personnages inconnus qui durent reconstruire une vie sociale, et parfois personnelle, après la chute de leurs parents, et parfois dans les affres de l’exil pour certains. Là encore les destins les plus poignants restent ceux des Romanov marqués à jamais par l’écroulement de 1917 (mère et sœurs du tsar, cousins des branches cadettes échoués à Paris ou Biarritz). Quant à la manière dont les Habsbourg, Charles, Zita et leurs enfants furent traités, elle ne fait honneur à personne. Du moins l’impératrice offrit-elle au monde l’image de ce qu’une princesse de Bourbon-Parme, imprégnée de catholicisme, sut faire face à l’adversité, la mort et la haine.
Peut-être finira-t-on un jour par comprendre que l’histoire de ces grandes familles se confondit à jamais avec celle de l’Europe, que leurs drames annonçaient ceux que des millions d’anonymes vivraient à leur tour dans la nuit des totalitarismes et que le sort du tsarévitch Alexis et de ses sœurs sonnait le glas pour des familles entières.
Prenons toujours garde à ceux qui prennent la place des rois.
frederic le moal
Frédéric Mitterrand,
- Les aigles foudroyés, Perrin tempus, novembre 2016, 444 p. — 10,00 €.
- Mémoires d’exil, Perrin tempus, novembre 2016, 447 p. — 10,00 €