Le livre de l’historien américain Mark Riebling, que les éditions Tallandier viennent de faire traduire, est capital à plus d’un titre. Il apporte en effet des preuves irréfutables de l’engagement antinazi du pape Pie XII, encore aujourd’hui calomnié. Engagement en réalité connu dans ses grandes lignes (cf. mon ouvrage Les divisions du pape. Le Vatican face aux dictatures, 1917–1989) mais qui est ici minutieusement décrit.
Trois points sont à retenir.
Le premier concerne la participation du pape aux multiples complots tissés par l’opposition allemande – notamment militaire mais pas seulement – pour abattre le régime nazi. Non seulement Pie XII ne s’est pas contenté de regarder ces menées de loin, mais il en est un des principaux protagonistes, servant d’agent de liaison entre les opposants et les Britanniques restés très méfiants par ailleurs. Pour les ennemis d’Hitler, il est la référence incontournable. Du coup, on voit apparaître un pontife qui n’exclut pas la mise à mort du dictateur, s’appuyant sur la théologie du tyrannicide que le magistère élabora au cours des siècles.
L’autre élément émergeant de ces pages aussi denses que fluides intéresse les relations entre le national-socialisme et le catholicisme. Bien loin de la thèse marxiste du « catho-fascisme », l’étude démontre la haine des nazis pour l’Eglise de Rome. Et c’est donc en toute logique que les catholiques montent en première ligne dans le combat contre ce régime démoniaque, avec bien plus de ferveur et de force que les protestants. Beaucoup d’entre eux le reconnaissent dès l’époque. Les pages consacrées au complot de Stauffenberg, particulièrement poignantes, illustrent le processus qui pousse un militaire, au nom de son amour du Christ et de l’Allemagne chrétienne, à trahir son serment et à tenter d’éliminer le tyran, tout en montrant les liens qui unit Pie XII à cette opération.
Enfin un dernier point retient l’attention, celui des fameux « silences ». Loin d’être niés, ils sont expliqués par les pressions venues des épiscopats et des clergés locaux (polonais ou allemands), voire des Alliés eux-mêmes. En effet, la crainte des terribles représailles que les nazis ne manqueraient pas de déchaîner les pousse à demander au Saint-Père de garder un prudent silence qui n’enlève rien – et c’est là le cœur de la démonstration de Riebling – à son action souterraine. « Le souverain pontife ne se tint pas au-dessus de la mêlée, il œuvra au-dessous. » Tout est dit !
frederic le moal
Mark Riebling, Le Vatican des espions. La guerre secrète de Pie XII contre Hitler, Tallandier, octobre 2016, 459 p., 23,90 €