Lee Nutter sans frontières : entretien avec l’artiste

Dans les tra­vaux de Lee Nut­ter , la nudité conserve tous les droits. Mais son excès échappe au voyeu­risme basique comme aux morales reli­gieuses pour et par l’exubérance dif­fuse. Une effrac­tion a lieu : celle de Vénus. Elle parle un autre lan­gage que dans une société qui se croit éro­tique mais n’est que futile. Bref, Lee Nut­ter repense la nudité au nom de l’idée de beauté. Elle n’est plus une figu­ra­tion érotico-plastique façon strip-tease, elle devient la figure de la figure. La pho­to­gra­phie la fait pas­ser de l’ordre du plai­sir à celui de l’approfondissement.

 Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Si je pla­ni­fie quoi que ce soit, alors je ne dors pas, donc je déteste me lever le matin. A l’inverse quand rien n’est pla­ni­fié, le jour est plein de pos­si­bi­li­tés et je suis impa­tient de commencer.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’aimais lire et des­si­ner, c’est tout ce que je vou­lais faire. Puis il y eut ma période d’obsession pour les avions et j’ai passé plu­sieurs années dans une ligue aérienne. Mais la répar­ti­tion par groupes est arri­vée et mon enthou­siasme a décru. Ce n’est plus quelque chose qui me fait perdre le som­meil. Et les livres que j’ai lus offre bien plus de varié­tés que le tra­vail de pilote ne per­met­tait. C’est comme une page vide avec un poten­tiel infini.

A quoi avez-vous renoncé ?
L’argent.

D’où venez-vous ?
Je n’en suis pas sûr. Je suis né en Angle­terre mais je suis à peine Anglais. J’ai grandi en Nouvelle-Zélande mais, mal­gré des sou­ve­nirs affec­tifs, je ne suis cer­tai­ne­ment pas un Kiwi. J’ai passé la majeure par­tie de ma vie en Aus­tra­lie mais j’ai beau­coup de mal à me sou­ve­nir de quoi que ce soit. Je suis ins­tallé depuis quelques temps au Cam­bodge et j’y suis plus heu­reux que jamais. J’ai voulu habité ici depuis très long­temps et main­te­nant j’y suis. Chaque matin je me réveille en me consi­dé­rant Cambodgien.

Quelle est la pre­mière image sont vous vous sou­ve­nez ?
Je ne me rap­pelle pas des images concrètes, je me sou­viens de sen­sa­tions, de réponses vis­cé­rales, de notions vagues, d’impressions. Je pense que c’est pour­quoi tant de mes propres images sont floues, ou enve­lop­pées d’ombre.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je n’en suis pas sûr. Un des pre­miers « gros » livres que j’ai lu est sans doute la Bible. J’aimais la tex­ture du papier et le fait que le texte soit imprimé en deux colonnes. C’était plein d’images vives, sédui­santes, mys­té­rieuses. Je ne suis pas reli­gieux, mais j’aime tou­jours lire des textes religieux.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Ma pers­pec­tive par­ti­cu­lière et mes expé­riences exis­ten­tielles. Cha­cun est dif­fé­rent, cha­cun pos­sède sa propre expé­rience. Dans mes moments plus indul­gents, je dirais mon grand sens du goût. Dans mes moments plus vul­né­rables, je dirais que je ne suis pas vrai­ment sûr qu’il y ait quoi que ce soit qui me dis­tingue des autres. Il y a tant de pho­to­graphes, cer­tains d’entre eux sont bons, d’autres pas tel­le­ment. Si je suis assis quelque part vers la bonne par­tie du spectre, c’est tou­jours ça de pris.

Pour­quoi votre inté­rêt pour la pho­to­gra­phie de nu ?
Tant de pho­to­graphes sont foca­li­sés sur la lai­deur. Je pré­fère me concen­trer sur la beauté.

Où travaillez-vous et com­ment ?
Chez moi lorsque c’est pos­sible et très lentement.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai pas ten­dance à l’adoration de héros, peut-être parce que la plu­part de mes héros sont morts ? Chaque fois que cela a été pos­sible j’ai saisi les oppor­tu­ni­tés de ren­con­trer ceux que je res­pecte et admire et je ne l’ai que  rare­ment regretté. Si j’aime leur tra­vail, je suis d’habitude tout à fait confiant en leur caractère.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Beau­coup ! Sur­tout du hip-hop et du jazz, mais aussi d’autres musiques d’ambiance et plein de trucs.

Quel livre aimez-vous relire ?
N’importe quel livre d’Henry Mil­ler. J’ai lu cha­cun de ses livres et j’ai réussi à mettre mes mains sur des dizaines d’entre eux. J’ai lu beau­coup d’entre eux deux fois ou trois fois et cer­tains plu­sieurs fois. J’ai quelques uns d’entre eux sur « Kindle », mais j’ai pris des dis­po­si­tions pour une avoir une copie phy­sique du « Tro­pique du Can­cer » pour l’apporter au Cam­bodge plus tard cette année.

Quand vous vous regar­dez dans votre miroir qui voyez-vous ?
De plus en plus mon père. Par­fois ma mère. Par­fois le petit enfant que j’étais. Cela dépend de mon état d’esprit, par­fois un mani­pu­lant, par­fois un visionnaire

Quelles villes ont valeur de mythes pour vous ?
J’aime Bang­kok depuis dis ans et plus. J’aime Phnom Penh. J’aime le Paris des années 20.

De quels artistes vous sentez-vous proche ?
Henry Mil­ler. Pas du fait que je peux écrire comme lui mais parce que j’aime le lire. Je pense le com­prendre. J’ai l’impression de retrou­ver fina­le­ment quelqu’un qui com­prend ma situa­tion et voit le monde par des yeux sem­blables aux miens.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je suis de façon peu rai­son­nable ouvert à autrui et ceux que je ne ren­con­tre­rai jamais. Donc je suis faci­le­ment absorbé par un grand film. Il y a beau­coup de films qui me font pleu­rer. Ce ne sont pas tou­jours des larmes de tris­tesse. La beauté me tire sou­vent des larmes. Autant que je m’en sou­vienne, je pour­rais citer Wong Kar-wai et Chris­to­pher Doyle. Par­ti­cu­liè­re­ment « In the Mood for love » et « Chung­king Express ».

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Plus de temps, moins de res­pon­sa­bi­lité et assez d’argent pour faire ce que je veux réaliser.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan « L’amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
C’est bien triste pour Lacan. Non parce qu’il essayait de don­ner quelque chose qu’il n’avait pas, mais parce qu’il était géné­reux envers quelqu’un qui ne l’a pas voulu — qu’il soit amou­reux ou non n’importe pas.

Et celle de W. Allen « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
Cela dépen­drait cer­tai­ne­ment de ce qui m’est demandé.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Pas celles dont je n’ai pas la réponse, mais celles qui m’intéressent. Peut-être pourriez-vous me deman­der que faire contre la dépré­cia­tion des arts par­ti­cu­liè­re­ment dans le monde occi­den­tal. Ce n’est pas une ques­tion d’argent ou de sta­tut mais il s’agit de com­prendre les contri­bu­tions que les arts et la culture accordent à la condi­tion humaine et au res­pect de ce qu’elle représente.

Pré­sen­ta­tion, entre­tien et tra­duc­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 5 novembre 2016.

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