Nathalie Quintane, Que faire des classes moyennes ?

Du spec­tacle social

La classe moyenne est assise entre deux chaises : celle du pro­lé­ta­riat qui risque de deve­nir son trône et celle des classes supé­rieures où, mal­gré ses efforts, elle ne pourra jamais s’asseoir. Natha­lie Quin­tane le résume impla­ca­ble­ment : « les pauvres sont anor­maux et les riches sont hors normes ». Pris entre ces deux feux, les classes moyennes ont peur d’elles-mêmes. Elles tentent de l’oublier par divers sub­ter­fuges plus ou moins com­pen­sa­toires que l’auteure passe au pilon. Plu­tôt que de défi­nir cette classe hété­ro­gène et « flot­tante » de manière socio­lo­gique, Natha­lie Quin­tane sou­ligne le rôle dans le pro­ces­sus sub­jec­tif de repré­sen­ta­tion que cette classe se fait d’elle-même. Refu­sant tout sen­ti­ment d’appartenir véri­ta­ble­ment à une unité, elle se scinde en une mul­ti­tude de tri­bus que réper­to­rie le mar­ke­ting pour l’appréhender.
La non-classe ins­truit son récit fan­tasmé entre dolo­risme et orgueil et selon des dégui­se­ments en pièces rap­por­tées. S’estimant tou­jours trop basse dans l’échelle sociale (et crai­gnant qu’il n’y ait par­fois plus de bar­reaux du bas sous ses pieds) et tou­jours trop loin des centres, elle s’invente un réel pour « punir » (écrit Quin­tane) celui qui lui est pro­posé. Mais ce dur désir de résis­ter est un tra­vail sans fin dont l’auteur, tirant à vue, dresse le constat non sans jubi­la­tion, finesse, vaga­bon­dage. Debord n’est jamais loin. Il ne dépare pas dans la nou­velle ver­sion de la société du spec­tacle des temps de crise. Il est d’ailleurs cité afin de par­ache­ver le por­trait de ceux qui se leurrent eux-mêmes : faux pro­prié­taires, « igno­rants mys­ti­fiés » et col­lec­tion­neurs d’humiliations diverses.

Cette classe — sépa­rée d’elle-même et en elle-même — vit par le miroir que lui ren­voie des médias et ins­ti­tu­tions fomen­teurs de faux dia­logues. Ils sont bâtis afin que les déclas­sés poten­tiels res­tent les din­dons de la farce. Elle tourne de plus en plus mal au moment où la société libé­rale devient chiche de cadeaux à son égard.
Le livre est à ce titre aussi vif, allègre, qu’intraitable. Il fait la nique à tous  les pro­grammes que  les maîtres chan­teurs des pou­voirs et les pen­seurs du peu donnent en pâture à la vale­taille votante. Existe chez Quin­tane un vrai ferment de révolte. Mais sans la moindre illu­sion pour un grand soir. Car si « le grand ciment social, c’est la ven­geance » la maso­chiste classe moyenne la tourne contre elle-même en un mon­tage impli­cite de signes de clas­si­fi­ca­tion ou de déclas­se­ment. Pour inven­ter ses fée­ries, et comme aux USA, elle mul­ti­plie l’à peu près, le bidouillage au sein même du fouillis et du bric-à-brac. Show must go on.

jean-paul gavard-perret

Natha­lie Quin­tane, Que faire des classes moyennes ?, P.O.L édi­tions, Paris, 2016, 112 p. - 9,00 €.

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