Jacques Réda poursuit son appréhension de la physique de l’univers et ce qui la fait fonctionner. Dès son premier tome, il mettait le lecteur dans le mystère des deux infinis chers à Pascal : « Pour bien définir l’Énergie / il suffit que l’on multiplie / la masse par la célérité / de la lumière, mise au carré ». Preuve que la formule d’Einstein peut se résumer dans ce que l’auteur nomme des « vers de mirliton ». Pour aller plus à fond, il utilise parfois « une prosodie dont les contraintes sont un peu celles de l’équation ».
Cela ne va pas sans possibles erreurs mais il faut courir ce risque pour vulgariser « l’œuvre des physiciens, vrais et hardis poètes de notre temps. ». C’est pourquoi Réda poursuit sa quête ici en grattant du côté d’un des deux infinis cités plus haut : le grand. Et l’auteur de préciser : « Je soupçonne que l’Univers est sans commencement, / Sans fin. Mais l’Infini, non moins que l’Éternel, nous ment, / Comme nous moquent en passant le vent insaisissable / La fuite de l’eau sur la pente ou le filet de sable ». Dès lors, tout est possible dans un mouvement qui assure (ou déleste ?) l’univers. C’est selon Réda « l’unique instant où le Tout, à la fois, / S’accomplit et se change en Rien ; où Rien, en contrepoids, / Devient le Tout qui se dérobe. ». Quand au reste : « C’est le soleil et les bouquets de la voûte céleste ; /C’est vous, c’est moi, le vent, la violette au fond d’un bois. »
Il n’est nullement question d’entamer une polémique avec le poète d’autant que sa définition du « reste » paraît séduisante. Toujours est-il que Réda s’avance vers l’illimité. Il inscrit en joie sa ligne impossible pour lui demander davantage. La vue comme la venue est remisée. Noyé, l’horizon reste néanmoins convulsif au fond d’une pacification ardente. Le temps scellé fait corps avec ce qui devient signe poétique dans des processus perpétuels d’écarts dont Réda a le secret.
Chez le poète n’existe plus de chemin qui descend vers le sol. Le paysage est sans contour, sans limite ni description et n’admet ni parenté ni cause. Il est comme un loup blanc quoique sans doute moins odorant et humide. Ne cessant de s’étendre, divisant le monde, il crée des âmes dans la profondeur de l’air. Réda aussi. Le poème ôte le vêtement arrêté de l’univers. A peine enlevé ou élevé, il fait l’énigme plus belle chargée d’un lieu pascalien dont la circonférence est partout et le centre nulle part afin d’interroger le regard qui est censé la voir.
De l’œil au regard s’instruit la médiation de l’œuvre poétique : soudain, c’est elle qui fissure énigmatiquement les certitudes trop facilement acquises. Le poème devient l’espace d’une béance bien plus qu’oculaire. Il écarte les bizarreries de la nature pour aller au fond des infinis. Réda y règne en passeur et confident de leurs opérations les plus secrètes.
jean-paul gavard-perret
Jacques Réda, Le Tout, le Rien et le reste — La physique amusante IV, poésie, Gallimard , coll. Blanche, 2016.