Frédéric Grolleau, Hieronymus — moi, Jérôme Bosch ou le peintre des enfers

Bosch par lui-même

500 ans après sa mort et sans le,  savoir Jérôme Bosch « sacri­fie » à l’autofiction  pour notre plai­sir et notre connais­sance. Fré­dé­ric Grol­leau le fait par­ler en un jour­nal intime enri­chi de dif­fé­rents docu­ments. Appa­raissent les Riches Heures d’un peintre majeur pour lequel l’occultisme devint le ferment d’une esthé­tique où sont repous­sées les dimen­sions « clas­siques » du bien et du mal, de la beauté et de la lai­deur, du mul­tiple et de l’un.
Au ser­vice de son sujet, F. Grol­leau va plus loin phi­lo­so­phi­que­ment et  lit­té­rai­re­ment que dans ses bio­pics de Sumo et de Tin­tin afin de mon­trer com­ment Bosch a atteint l’infinité d’un monde aussi réel que sou­ter­rain, aux beau­tés et lai­deurs convul­sives, là où un désordre des per­son­nages et objets scé­na­ri­sés forment une autre unité du monde. Dans cette œuvre, l’analogon alchi­mique « de l’humidité informe ori­gi­nelle est cette « eau sèche » qui, sous forme de brouillard s’élève. Il contient la semence de toute chose mais s’évanouit au moindre réchauf­fe­ment ». Bosch a réussi à conden­ser : « ce prin­cipe vola­til, mys­té­rieux et fémi­nin » pour  en rete­nir la quin­tes­sence tout en la liant aux restes, aux  « cendres du caput mor­tuum (la tête morte) » des cor­nues alchimiques.

L’œuvre conserve un carac­tère énig­ma­tique, énorme et mul­tiple. Elle est deve­nue  la Divine Comé­die pic­tu­rale sans doute indé­pas­sable, comme l’est en poé­sie l’œuvre de Dante. En jaillit l’absolument monde dans sa pro­fon­deur, par effet de sur­face jusqu’à son unité iré­nique qui passe par la vision de « contor­sion­nistes idiots ron­gés par le chancre, les gueux besa­ciers aux moi­gnons secs et pattes cro­chues ». Cet excès de lai­deur est là pour prou­ver que « l’enfer des uns s’avère par­fois le para­dis des autres ».
Fré­dé­ric Grol­leau pro­pose la clé alchi­mique majeure de la pein­ture de Bosch. L’auteur per­met de se dépla­cer dans les méandres et les spasmes de son caphar­naüm où le réa­lisme rejoint le fan­tas­tique loin de toute  sim­pli­fi­ca­tion pai­sible et où s’opère la for­mu­la­tion la plus sin­gu­lière de la phé­no­mé­no­lo­gie qu’est la pein­ture. Par elle, le Sou­ve­rain Bien comme le mal géné­rique ne se trouvent plus après la terre mais dedans. Bosch n’évoque pas une revoyure mais un retour­ne­ment. Il ne s’agit pas de déter­ri­to­ria­li­ser l’être mais de mon­trer le fatras qui aliène la condi­tion humaine  à un désordre stupéfiant.

Le « peintre des enfers » et son porte-voix per­mettent d’atteindre une sidé­ra­tion. Exit le pla­to­nisme, le roman­tisme, le règne ration­nel, le règne ana­ly­tique, le règne des formes dis­cri­mi­nées. Tout cela semble à Bosch d’une étroi­tesse insigne. Lui et son scribe savent que l’idéalisme artis­tique est une sin­ge­rie plus men­teuse que toutes les fic­tions. Pré­ten­dant être tou­jours le monde, il ne l’atteint jamais.
Bosch ouvre en consé­quence un ordre sidé­ral où les formes du monde se ramassent, se regroupent en l’Un des Alchi­mistes par la créa­tion d’une vision « sur­réelle » et tout autant infra-réelle du monde. Elle reste une épreuve dis­pen­sable, une tor­ture mais sur­tout une séquence ini­tia­tique. F. Grol­leau la rend sai­sis­sable en ouvrant à la com­plexité de la phi­lo­so­phie et de l’esthétique du peintre hol­lan­dais : ses « Dies Irae » paraissent plus légers et sous la cohorte des monstres jaillit le chœur qui entame d’intempestifs « gloriae ».

jean-paul gavard-perret

Fré­dé­ric Grol­leau, Hie­ro­ny­mus — moi, Jérôme Bosch ou le peintre des enfers, Les Edi­tions du Lit­té­raire, coll. Biblio­thèque de Babel, Paris, 2016, 292 p. — 23, 50 €.

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