Roger Caillois : tendre est la nuit ou tout doit disparaître
Le discours sur l’ineffable resta chez Caillois aussi central que celui qu’il proposa sur la matière (les pierres entre autres). Face au rationalisme et ses catégories herméneutiques, il mobilise une vision sinon nocturne du moins proche de l’obscurité en rappelant que l’être humain demeure préhistorique tant sa peur de la nuit demeure. D’ailleurs, toute l’histoire des arts et des littératures en a fait un territoire à explorer, un territoire en perpétuel cours d’exploration.
Chez Caillois, la clarté linguistique crée l’interaction entre l’intellectualisation et la sensation la plus profonde. En ce sens, elle transcende l’herméneutique, qui se révèle impuissante à saisir la matière du vivant. La contester ne revient cependant pas à s’en défaire mais à l’approfondir en pratique par l’expérience humaine la plus primitive et sourde.
Renoncer à la mystification de l’interprétation trop savante implique néanmoins un certain contrôle. Lutter contre ce que Spinoza nomme « les absurdes ésotérismes » impose en effet un regard attentif sur le prétendu pouvoir ineffable de la parole comme sur les opérations cachées du « génie » littéraire. Certes, Caillois parfois se laisse prendre à cette tendance mais sa capacité de retour au réel lui accorde une résistance à l’interprétation humaniste dont il reste l’héritier rebelle — sa fréquentation du Surréalisme lui fut profitable sur ce plan. Il propose en ce sens une vision plus sombre de l’essence humaine. Elle ne s’appréhende pas au nom de la raison sans pour autant afficher une certitude en ce qui la déborde.
Son texte demeure une saine agression contre l’absolue cohérence de la clarté du cogito dont l’arrivée de la nuit, en sa force centrifuge, aura « raison ». Caillois reste ici à la jonction de l’« archaïque » et du présent gnomique. Celui-ci est tout autant défini par son avenir que par son passé et par un acte d’évaluation comparative entre le jour et la nuit. Le crépuscule devient l’aube d’une lucidité entre absorption et exploration, ce sont ces forces qui motivent à la fois la résistance et la fascination à l’égard de la nuit.
jean-paul gavard-perret
Roger Caillois, Êtres de crépuscule, Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2016, 32 p.
Marguerite Yourcenar qui succéda à Roger Caillois fit un célèbre discours devant les ” Immortels ” . Elle souligna ” la clarté linguistique ” et ” Les Êtres de crépuscule ” avec une discrète élégance dont JPGP témoigne en soulignant la part fréquentée du surréalisme .