Une atmosphère puissante pour une intrigue réjouissante
Les éditions Métailié ont fait paraître, en 2010, La Huitième Vibration de Carlo Lucarelli un roman ayant pour cadre cette Érythrée, alors occupée par les Italiens à la fin du XIXe siècle. Il y anime une remarquable galerie de personnages dans cette colonie écrasée de soleil. Dans le présent roman, on ne sait qui a la vedette entre l’atmosphère étouffante de la côte, l’air trop pauvre des hauts plateaux, la théorie de protagonistes et l’intrigue finement ciselée.
Oualla, une jeune fille délurée s’offre au soldat de garde d’un entrepôt très éloigné, où personne ne vient. Ce soir, contrairement aux autres fois, elle est là pour distraire son attention pendant que l’on force la porte de l’entrepôt. Le capitaine Colaprico est dépêché sur place. Il est accompagné d’Ogbà, un carabinier indigène qu’il appelle le Sherlock Holmes abyssin. D’après un brigadier, rien n’a été volé. Cependant, Colaprico est persuadé qu’il s’agit d’une phase de bonneteau. On est en train de déplacer des blocs de marchandises pour, dans la confusion, faire disparaître une cargaison. Ogbà remarque qu’une lourde masse a disparu. C’est un coffre-fort qui manque.
La visite au fourrier en chef, un individu au cœur de trafics, mais protégé depuis Rome, ne donne rien. Mais ce dernier, intérieurement, est furieux car ce coffre lui servait à garder des secrets, contre rétribution, dans un trou dont personne ne connaissait l’existence. C’est ainsi que commence pour le couple d’enquêteurs, une nouvelle affaire. Celle-ci se poursuit lors de l’inauguration de l’Albergo Italia, le nouvel hôtel luxueux à Asmara sur les Hauts plateaux de l’Érythrée occupée par l’Italie. Dans une chambre, on retrouve Farandola Antonio, un imprimeur de Turin, nu et pendu au ventilateur. Ogbà a tout de suite compris que le tabouret renversé sous les pieds du cadavre est trop petit et il remarqué du sang sous les ongles de l’index et du médius. Ce n’est pas un suicide, mais un assassinat ! Pourquoi et par qui ?
L’auteur dépeint avec habilité cette ambiance qui influe sur les caractères et qui amène à des réactions inhabituelles. Il reprend, comme dans son roman précédent, cette population de colons composée d’individus aux motivations les plus diverses, venus avec des objectifs bien différents mais concentre son intrigue sur un petit noyau de personnages autour de son duo d’enquêteurs que tout pourrait séparer alors qu’il n’en n’est rien. Les liens hiérarchiques sont ténus, laissant place à des rapports empreints de respect mutuel. Le romancier confronte ce binôme à une aventurière rousse, à une horde d’assassins, à un étrange géologue, à un fourrier corrompu et aux manigances de la belle et peu farouche Oualla.
Si le ton plaisant, enlevé, le style alerte, l’humour à fleur de pages laissent supposer un grand plaisir pris à l’écriture, il ne doit pas dissimuler le travail conséquent mené par Carlo Lucarelli, tant sur l’architecture du livre, sur la fluidité du récit que sur les images toujours pertinentes.
Le romancier truffe son récit de mots et d’idiomes de la langue érythréenne, faisant peiner, par exemple, Ogbà et Oualla pour traduire un terme, expliciter une idée, une expression. Mais on retrouve le même souci avec le décalage entre les diverses “langues” italiennes parlées selon les régions. C’est un problème identique qui avait poussé les gouvernants français, après la défaite de 1870, à rendre obligatoire l’école publique car, préparant la revanche, ils voulaient que tous les soldats parlent la même langue pour comprendre les ordres donnés.
Avec ce roman, l’auteur rend un hommage appuyé aux feuilletonistes par le contenu de ses fins de chapitres qui relancent l’intrigue, à Conan Doyle et à sa création le fameux Sherlock Holmes. Dans Albergo Italia, Carlo Lucarelli ressuscite une page d’histoire autour d’une intrigue policière fort attractive menée par un duo d’enquêteurs attachants.
serge perraud
Carlo Lucarelli, Albergo Italia (Albergo Italia), traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Métailié, “bibliothèque italienne”, octobre 2016, 144 p. – 17,00 €.