Daniel Dezeuze, Clefs à tendre la toile écrue

Le rire glo­rieux de Daniel Dezeuze

Depuis quelques temps, Daniel Dezeuze ose, après la décons­truc­tion plas­tique, la décon­trac­tion poé­tique de la manière la plus réus­sie qui soit. Il y eut ses Brèves de musée, haï­kus dégin­gan­dés pour saluer 50 chefs d“œuvre du Musée Fabre. Il y a aujourd’hui, et tou­jours (ou a priori) sur la pic­tu­ra­lité, ces Clefs à tendre la toile écrue. Tout artiste les connaît bien, s’il s’ose sinon à la “peinture-peinture” du moins à la toile dont Dezeuze s’employa un temps à mon­trer l’envers (comme s’il s’agissait de regar­der sous ses jupes) avant d’y refaire sur­face.
Le plai­sir du texte est constant. D’autant que sous pré­texte de par­ler pein­ture, Dezeuze ouvre le champ. Il se plaint non sans amu­se­ment de la des­truc­tion de ses livres sou­mis à la faim de rats des champs deve­nus rats de biblio­thèques et dévo­reurs de “quelques reliures / cou­sues de fil blanc / de Sapho et de Rilke” avant de faire des pages déchi­que­tées des chambres d’accouchements pour rates insouciantes.

Animale ou humaine, la gente fémi­nine habite ce beau livre. Les femmes savent que l’auteur peut les barat­ter pour en faire son “beurre” afin d’oublier le “petit lait du temps”. Manière au poète artiste de sup­por­ter les dou­leurs de son corps en glis­sant dans celui des Vénus et gober leurs baies avant les aubes épines.
Bref, de sa cam­pagne, Dezeuze tente de faire la nique au temps qui passe. Il cherche même à rete­nir l’insaisissable… Preuve qu’il reste et c’est ce qui fait son charme, de bien naïve engeance. Il est notre sem­blable, notre frère : sueur et éja­cu­la­teur tar­dif lorsque, sou­dain, ce “vieux cer­veau qui n’en fait qu’à sa tête” redonne au sexe des “sau­riens” qui ne savent rien de quoi pen­ser par eux-mêmes.

Suivent pour finir le livre sinon des haï­kus du moins des vignettes offertes à la reine de ses jours (Karen) sous le titre de “Ner­vures”. Le créa­teur s’y fait spé­cia­liste non seule­ment des plantes — de la tro­bile aux akènes, du buxus (enten­dons buis) à la moelle des sureaux (pas n’importe les­quels : ceux d’Alès), mais aussi des fatra­sies intem­pes­tives et déli­cieuses. L’ail de Naples y pos­sède des “éta­mines aussi blanches / que traîne de mariée”, le char­don devient bien doux com­paré à l’épine-vinette.
Et c’est un plai­sir de ren­trer dans cet her­bier que Jean-Jacques Rous­seau a raté. Contrai­re­ment à lui, Dezeuze a com­pris que les mots font ce que les plantes séchées ne peuvent don­ner. Cha­peau l’artiste !

jean-paul gavard-perret

Daniel Dezeuze, Clefs à tendre la toile écrue, Edi­tions Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, non paginé, 2016.

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