Intimité métaphorique et métaphysique
Les femmes d’Aurélie Levaux – et leurs compagnons – ont beaucoup de tête et autant de corps. L’artiste les dessine pour contrarier l’espace qu’elles et ils habitent. Il arrive que le corps échappe à lui-même, se cache tout en se montrant et en jouant les acrobates. Surgit parfois l’effacement pour « dire » plus. Morceler revient à focaliser au détriment de tout ce qui n’a pas d’importance : seul une image suffit avec un bref commentaire afin qu’une étrange narration suive son cours. Tout permet un relevé de traces du vivant avec un humour constant cher aux irréguliers de l’art belge. La fragilité de l’être se révèle en retenant du corps le foisonnant et l’empirique.
Ce qui est retiré à l’organique permet non de l’effacer mais d’en préserver plus que la parure : l’essence dégingandée. Le presque vide crée la forme dans la simplicité minimaliste. Elle n’exclut pas un récit qui explore la manière d’épouser l’autre ou de s’épouser soi-même.
Les fragments du corps proposent donc une intimité métaphorique et presque métaphysique en dépit de la dimension charnelle. Existe une sorte de pureté plus troublante que l’image érotique traditionnelle. On pense bien sûr à Kiki Smith et à Laure Forêt pour qui la peau, les tissus conjonctifs créent une poésie particulière. Ici La chevelure chère à Baudelaire (et à Catherine Deneuve) trouve une nouvelle valeur.
L’espace du support intègre le corps lui-même. Il permet, dans ses torsions, une circulation aux harmonies jouissives et drôles. Elle n’a rien d’imitative.
jean-paul gavard-perret
Aurélie William Levaux, La poutre de mon œil, Editions Le Monte en l’air, 2016.