Jean Genet, Rembrandt

Rembrandt sauvé des eaux

Ecrire un livre sur Rem­brandt retint l’attention de Genet pen­dant près de 10 ans. Il a décou­vert l’œuvre du peintre dans les années 50 après des voyages à Londres, Amster­dam, Ber­lin, Vienne. Il publie dans l’Express en 1958 des extraits du Secret de Rem­brandt qui annoncent la paru­tion du livre aux Édi­tions Gal­li­mard. Il ne vit jamais le jour. En lieu et place sera publié dans Tel Quel en 1967 Ce qui est resté d’un Rem­brandt déchiré en petits car­rés bien régu­liers, et foutu aux chiottes  repris aujourd’hui dans cette édi­tion.
Le titre pos­sède un sens lit­té­ral : en effet, à la suite du sui­cide de son com­pa­gnon Abd Allah, Jean Genet a détruit les manus­crits conte­nus dans une valise sur les­quels il tra­vaillait, dont celui sur Rem­brandt. Mais deux frag­ments en avaient été remis à un tra­duc­teur qui les sauva de facto de la perte.
Dans le pre­mier frag­ment, Genet évoque un moment de sa vie. Il com­prit face à un voya­geur assis dans un train en face de lui que tout homme en vaut un autre. Dans le second, il évo­qua sa fas­ci­na­tion pour Rem­brandt. Reliant les deux « temps » il com­prend au-delà que — puisque tout homme en vaut un autre et que la puis­sance éro­tique peut se déli­ter — chaque indi­vidu devient le sujet de l’art. Et Genet de pré­ci­ser : « Pen­dant encore un peu de temps si toute forme humaine assez belle et mâle, conserva un peu de pou­voir sur moi, c’était, pourrait-on dire, par réver­bé­ra­tion ».

Partant de cette puis­sance de reflet « de celui sous lequel si long­temps j’avais cédé » se pro­duit un « Salut nos­tal­gique à lui aussi ». Tou­jours tra­vaillé par la thé­ma­tique éro­tique chère à l’auteur et qui le domine, il entama un “pas au delà ” (Blan­chot) pour sinon s’en déga­ger s’en éloi­gner tant que faire se pou­vait. L’œuvre de Rem­brandt devient un appel intense à déga­ger non seule­ment un pro­fil par­ti­cu­lier au visage et au corps mais au temps.
Genet trouve dans les por­traits de l’artiste bien plus qu’une méta­phore ou une repro­duc­tion : il rend pen­sables des formes impré­vi­sibles en une sorte de créa­tion abso­lue par perte de contact avec la vie depuis la chambre men­tale d’un peintre que, grâce à Genet, nous connais­sons un peu mieux.

jean-paul gavard-perret

Jean Genet, Rem­brandt, Gal­li­mard, L’Arbalète, 2016.

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