Henri Droguet, Désordre du jour

Prin­cipes premiers

Désor­mais, Henri Dro­guet tourne le dos au lyrisme qui par­fois embru­mait ses textes. Il taille dans la fureur « brouillon­nante » : le pas­sage des mots n’en est que plus fil­tré. Il force la porte du monde par le bas plus que par le haut afin de ne pas se perdre dans l’éther. Face au « jar­din sau­vage » plus où moins éde­nique issu de « l’é-ja-cu-la-ti-on for­mi­dable de Dieu » demeure le ventre du monde et ses caillots. S’accomplit le dur désir de durer sans faire réfé­rence « à la brillan­tine et la sapo­nite, la ouate ther­mo­gène et les ver­mi­fuges du passé». Assez les sou­ve­nirs ! Et presque assez des mots ! Plus d’esbroufe.

Rivé aux « affaires inces­sam­ment ter­restres », et face à ce qui se retranche, Henri Dro­guet cloue encore ses semences. Tout en se posant la ques­tion : « Quoi qui sarcle, sarcle / sarcle, hoquète ? ». Mais il faut tenir. Et ce, même si comme le rap­pelle le limi­naire du livre emprunté à Karl Kraus :« plus on regarde de près les mots, lus il vous regarde de loin ».
Reste cepen­dant à tirer des bords. Qu’importe si « canardent» un vent désor­donné ou le fra­cas des mou­ve­ments urbains.Le poète ronge « la ronce ou la cendre », il bou­ture ce qui reste. Jusqu’à l’épuisement du silence. A l’orée de la fosse si com­mune à cha­cun. Bref, le fou écri­vant croit encore à la plus incer­taine des lote­ries gourmandes.

Reste à tra­ver­ser le temps entre le silence où tout finit , où tout com­mence, par ses mots en réserve de pul­sion de vie à tra­vers leur richesse et leur flot rede­venu plus sages et en échos du monde dans une étrange scrip­tu­ro­gra­phie. Elle mêle sans les confondre le monde et l’écriture tout en les rap­pro­chant comme si aucune anté­rio­rité de l’une et l’autre n’était mar­quée.
Ne s’identifiant à aucun modèle, Dro­guet crée de la sorte un étrange tissu où le ” je ” s’écrit bien au-delà des figures de l’autobiographie. Entre elle et la poé­sie, il existe une fosse immense.

jean-paul gavard-perret

Henri Dro­guet, Désordre du jour, Gal­li­mard, 2016, 168 p.

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