Gestuaire est très au-dessus des deux premiers recueils de poème de Sylvie Kandé. L’auteur se dégage de la pesanteur d’une culture certes métisse (franco-sénégalaise) mais imbibée d’une présence classique. Il a fallu à la poétesse digérer des études universitaires suivies d’un destin constellé de postes prestigieux dans les universités américaines, d’un assistanat de recherche au Metropolitan Museum de New York, d’un rôle important au PEN American Center et de nombreuses participations dans des publications de renom. Néanmoins, tout cela ne suffit pas à transformer une femmes savante en poétesse émérite. Son long poème en prose Lagon, Lagunes (Gallimard, 2000 — postface d’Edouard Glissant) restait quelque peu compassé et dans le souffle et l’esprit d’une poésie africano-caraïbe archétypale.
L’œuvre se dégage enfin de la gangue intellectuelle pour se laisser aller à la recherche de « gestes » simples propices à un chant libéré où « par de telles nuits / nuits de dépit où la lune donne au monde le dos / où le bouger des arbres est sombre et plus sombre encore leur propos / à oser retenir le pas / on entendrait croître la canne ».
Gestuaire saisit par son intensité. L’écriture ne s’étend jamais. Elle devient une forme resserrée lourde et légère à la fois et qui ne se paye pas de mots. Ceux qui demeurent ont leur raison d’être avant que le gris noir ne s’étende, avant la nuit totale avec au loin le bruit sourd d’un fleuve. La plénitude de l’image ne passe pas par la figure de style mais pas les mots les plus justes, blessés et lacunaires, assoiffées d’espace. L’existence bat dans des couches denses où la couleur est presque absente.
jean-paul gavard-perret
Sylvie Kandé, Gestuaire, Gallimard, collection Blanche, 2016, 112 p. — 12,50 €.
Monsieur,
Il ressort de votre e-critique que vous reprochez à Madame Sylvie Kandé son afro-centrage, pour célébrer l’universalisme (cher aux tenants franco-français de la politique-littérature) enfin bien digéré de son récent recueil !
Pour exemples : « pesanteur d’une culture certes métisse […] mais imbibée d’une présence classique » ou « dans le souffle et l’esprit d’une poésie africano-caraïbe archétypale », ou bien, votre conclusion parlante à tous points de vue, « L’existence bat dans des couches denses où la couleur est presque absente ». Oh comme vous semblez aimer cette “pâleur”, cette “blancheur” que l’écriture de Madame Sylvie Kandé a « enfin » atteint après s’être « dégag[é]e de [s]a gangue intellectuelle », gangue que constituerait selon votre critique son enracinement africain ou métisse.
Gestuaire offre une plénitude de l’image en passant par « les mots les plus justes, blessés et lacunaires, assoiffées (sic) d’espace ». Et vous avez raison. Mais si vous ne les avez pas trouvés dans Lagons, Lagunes ni dans La Quête infinie de l’autre rive, c’est vraisemblablement que leur intense couleur vous a aveuglé.
Aussi, le “compliment” que vous faites à Madame Sylvie Kandé qu’un grand passé de « femmes (sic) savante » ne saurait la « transformer en poétesse émérite » peut diablement vous être retourné en tant que critique —au moins de ses 3 recueils.
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