Le Manque et son contraire : entretien avec Christophe Esnault

Qui mieux que lui pour pré­sen­ter le poète ?

« Chris­tophe Esnault est l’auteur d’une dizaine de livres dont Cor­res­pon­dance avec l’ennemi (Les Doigts dans la prose), Mytho­lo­gie per­son­nelle (Tin­bad), Aorte ado­rée (La Porte)… On peut le voir sur le Net dans des clips ayant pour titre Mou­rir à Chartres, Je vou­drais être Mar­lon Brando, Œdipe Cas­se­role, Nietzsche m’a tout piqué, Jaloux de ta psy­chose et beau­coup d’autres. Brice Vincent a réa­lisé un docu­men­taire sur son quo­ti­dien : Por­trait impu­dique d’un dro­gué amou­reux. Un jour, il vivra reclus, loin d’une connexion, son pre­mier voi­sin habi­tera à six kilo­mètres de chez lui, il n’y aura per­sonne pour le sol­li­ci­ter pour une inter­view et il n’écrira plus que pour celle qu’il aime. »

Tout l’auteur est là et pour qui a des doutes il suf­fit de se reporter :

Aux clips du groupe Le Manque
Au Por­trait impu­dique d’un dro­gué amoureux

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Deux choses : je dois taper avec une planche clouée arra­chée à l’habitacle sur mon érec­tion de 7 heures et aussi, envoyer un mail d’insultes au gars qui m’a pro­posé hier une inter­view puisque je suis le nou­veau Blan­chot et ne sau­rais me com­pro­mettre dans une si abjecte ges­ti­cu­la­tion. 

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ai pêché un aspe et un silure cette année.

A quoi avez-vous renoncé ?
À m’effacer (tout au moins, je diffère).

D’où venez-vous ?
De très loin. Il y a vingt-cinq ans, j’étais un déchet humain.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
R
ien.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Grand plai­sir : ouvrir les enve­loppes tom­bées dans ma boîte aux lettres où je recon­nais l’écriture de mon amoureuse.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Un trou à mon pull et des chaus­settes dépa­reillées, mais sur­tout : je vais attendre d’avoir publié quinze livres chez Ver­dier avant de m’autoproclamer écrivain.

Com­ment définiriez-vous votre approche de la poé­sie ?
Le mot approche ne me plaît pas.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Vous connais­sez un bon hypnotiseur ?

Et votre pre­mière lec­ture ?
Des revues por­nos trou­vées sur le bord d’une route.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Les chants orgas­miques de celle que j’aime.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Le corps magni­fique de celle que j’aime.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Cela aurait été effec­ti­ve­ment très inté­res­sant que je sois capable de m’en sou­ve­nir, mais j’ai pris peut-être trop de drogues et je n’ai aucun sou­ve­nir pré­cis, même si bien sûr, j’ai pleuré au cinéma.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un pauvre type ordi­naire qui se croit dif­fé­rent des autres parce qu’il n’a pas été chez le coif­feur depuis six mois.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ca fait plu­sieurs années que je repousse le moment où j’écrirai à Jude Sté­fan. En atten­dant encore un peu, il sera mort et ainsi la lettre sera enfin écrite, sans avoir jamais été sur­nu­mé­raire. 

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Loire.

Quels sont les artistes et écri­vains  dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Pas envie de les lis­ter et d’en oublier. D’autant que la liste est mou­vante. Il est évident que je les tra­duis (et les pille) et que rien de ce que j’écris n’est à moi.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
L’annonce au Jour­nal Offi­ciel et sur tous les médias de la dis­pa­ri­tion com­plète et défi­ni­tive du Parti Socia­liste. 

Que défendez-vous ?
J’aimerais défendre davan­tage (je chro­nique seule­ment quatre livres par an) les pépites que je découvre chez les édi­teurs à la marge et qui n’ont sou­vent à peu près aucune visi­bi­lité, pour qu’elles trouvent cinq lec­teurs de plus. Le tra­vail excep­tion­nel des réalisateurs/artistes qui se sont empa­rés de cer­taines chan­sons de mon groupe “Le Manque”. Il faut voir (sur le Net) Presque d’Aurélia Bécuwe, Vider les pou­lets de Brice Vincent. Je veux un enfant médiocre (et) Dieu lave ses slips lui-même de Franz Griers. Les chan­sons com­po­sées, jouées et chan­tées par Lio­nel Fondeville.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”? 
Elle est tel­le­ment usée cette for­mule qu’on ne peut plus l’évoquer sans pas­ser pour un bouf­fon. Je ne sais pas défi­nir l’amour, mais je crois à la pos­si­bi­lité du don et à l’immense fête (joie indis­cu­table) de savoir l’accueillir.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
On avait le même psy­cha­na­lyste avec Woody du temps où je vivais à Man­hat­tan et on a même eu une petite aven­ture tous les deux. Si j’avais réa­lisé une petite sex tape de cette sodo­mie extrê­me­ment bes­tiale de  72 heures, j’aurais pu la vendre au plus offrant et quit­ter mon tra­vail sala­rié, mais je suis un homme très sou­cieux de l’autre (l’altérité, c’est un peu mon com­bat (blague du jour)).

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Ce suc­cès incroyable des ventes de vos livres ne vous monte pas trop à la tête, il se dit que l’un d’eux a trouvé 4 (000000) lecteurs ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 19 octobre 2016.

4 Comments

Filed under Entretiens, Poésie

4 Responses to Le Manque et son contraire : entretien avec Christophe Esnault

  1. denis hamel

    moi aussi je vou­drais être inter­viewvé par Bavard-perret !
    c’est quand tu vou­dras jean-paul, tu as mon mail.
    denis hamel
    http://denishamel.fr

  2. denis hamel

    c’est bien, ici vous ne me cen­su­rez pas. comme Bavard-perret ne m’écrit pas, je vais faire ma propre inter­view avec les ques­tions qu’il a posées à esnault.

    Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
    mes trois amours : ma copine, la musique et les livres.

    Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
    j’ai tou­jours voulu m’exprimer, étant le plus jeune d’une fra­trie de quatre, on me disait sou­vent la fer­mer. du coup j’ai très vite voulu des­si­ner ou faire de la musique pour com­pen­ser. puis la lec­ture est arri­vée. en ce sens je suis resté fidèle à mes pre­mières ambitions

    A quoi avez-vous renoncé ?
    à gagner de l’argent en fai­sant de l’art.

    D’où venez-vous ?
    d’une petite ville dor­toir de la ban­lieue de ver­sailles. dans laquelle je suis resté jusqu’à 30 ans (j’en ai 43).

    Qu’avez-vous reçu en dot ?
    heu… je com­prends pas la ques­tion. je ne suis pas marié.

    Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
    lire / faire du piano / télé­pho­ner le soir à ma copine.

    Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
    je ne suis pas sûr d’être un écri­vain. je n’ai rien écris depuis début 2015. houel­le­becq dit un truc dans ce genre : ne cher­chez pas l’originalité. votre per­son­na­lité se déga­gera natu­rel­le­ment de la somme de vos défauts.

    Com­ment définiriez-vous votre approche de la poé­sie ?
    indi­vi­duelle / auto­di­dacte / anti sco­laire / intui­tive / existentielle.

    Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
    peut-être des des­sins ani­més à la télé. au sens lit­té­raire, je ne sais plus.

    Et votre pre­mière lec­ture ?
    d’abord la méthode toto, ensuite fan­to­mette, ensuite love­craft et jean ray.

    Quelles musiques écoutez-vous ?
    jazz / rock / clas­sique prin­ci­pa­le­ment. j’ai beau­coup écouté col­trane, bar­tok, led zep­pe­lin et mor­ton feld­man, à dif­fé­rentes époques.

    Quel est le livre que vous aimez relire ?
    épreuves exor­cismes de henri michaux, entre autres.

    Quel film vous fait pleu­rer ?
    ele­phant man de david lynch.

    Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
    quelqu’un qui est plus heu­reux qu’il y a dix ans.

    A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
    aucun nom ne me vient.

    Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
    ver­sailles. j’y ai fait mon col­lège et lycée.

    Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
    pes­soa : si il avait eu inter­net, il aurait fait comme moi.
    autre­ment voir ce lien : http://denishamel.fr/jaime.html

    Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
    une com­pi­la­tion rare de chan­teuses de blues noires amé­ri­caines des années 30/40, édi­tée par le label fré­maux et asso­ciés, et dif­fi­ci­le­ment trouvable.

    Que défendez-vous ?
    une cer­taine dou­ceur sans miè­vre­rie. le renon­ce­ment à la cruauté. la len­teur aussi.

    Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
    rien.

    Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
    ça me fait rire, contrai­re­ment à jacques lacan, que je trouve plu­tôt pathétique.

    Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
    quelle est le site de votre édi­teur ?
    ma réponse : http://www.petitpave.fr/petit-pave-festin-fumee-647.html

    et voilà !

  3. tristan felix

    Je suis en train de chro­ni­quer Mytho­lo­gie Per­son­nelle, ton opus peut-être le plus fort et le plus émou­vant parce qu’en dépit de quelques apho­rismes aphones tu chantes. Aussi parce tu peux être amer et cynique sans être miso­gyne, comme tant d’autres mâles vin­di­ca­tifs qui ravalent la femme à l’être adoré, donc inexis­tant. Lorsque tu ne seras plus amer ni cynique ta plume sera écar­late. Je lirai des extraits de ce recueil où je le pour­rai. NO PRESENT est un film d’une grande beauté, d’une grande élé­gance, d’un déses­poir épuré, sans pathos, à pic. Cap au pire.

  4. Christelle Mercier

    Merci, Tris­tan Felix !

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