Le non-sens porté à l’état d’art absolu
Celui qui garde toute sa foi dans les mots n’en est pas pour autant « mystique ». Il préfère le bleu d’Auvergne au bleu Klein. D’autant qu’athée infusé il a plus que des doutes quant à la béatitude puisque ses propres chemins de croix se « rejoignent à l’infini du néant ». Et c’est d’autant plus vrai lorsque, prenant de l’âge, « le vieux singe vieillissant » est turlupiné par le concept de temps. Celui-là en perd toutes ses couleurs. Ou presque, car sa « mémoire voit rouge ». Cela ne l’empêche pas de « redire la même chose » mais de mieux en mieux. Ce qui le console en se persuadant qu’il aurait pu se prendre pour un homme. Mais il assume sa condition et espère être son dernier vers : « celui qui ne m’aura pas dévoré ».
Il a encore le temps. Vivant l’art au jour le jour, Savary ne fait pas son âge. Tout chez lui sort de l’insignifiant par la signifiance déviée. Le belge fait du nouveau sans tuer le rêve des autres. Coinçant ses taciturnes burnes sur la selle poétique d’un vélo aux roues carrées il n’est pas manchot même si la recherche poétique peut parfois lui coûter un bras. C’est sa manière de voler vers les cimes abyssales. La rage bat une démesure dans les subtilités de non-sens portées à l’état d’art absolu bien plus performant que la maïeutique des canailles idéalistes.
jean-paul gavard-perret
Louis Savary, Maintenant que je suis un vieux singe, Editions Les Presses Littéraires, 2016, 102 p. — 15,00 €.