Lauren Beukes, Zoo City

On aurait aimé savoir ce qui se pas­sait dans la tête de Pares­seux

Un style, un uni­vers, une vision, une auteure que l’on découvre et lit avec plai­sir parce qu’ils offrent, tous ensemble, quelque chose d’un peu dif­fé­rent, d’un peu décalé. Le talent se trou­vait sous l’énergie de la plume, le réa­lisme des per­son­nages et l’originalité de l’idée qui, bien que pré­sente au début de l’ouvrage, n’a pas été suf­fi­sam­ment ali­men­tée au fil de l’intrigue. Mais on ne serait pas contre l’idée d’en lire un deuxième. Pari gagné !
Zinzi Decem­ber est une ani­ma­lée (une « Zoo ») ; ces per­sonnes res­pon­sables d’un crime qui, lorsqu’elles sortent de pri­son, se trouvent affu­blées, en guise de peine addi­tion­nelle, d’un ani­mal sym­bio­tique dont elles doivent s’occuper à vie (si l’animal meurt, son pro­prié­taire connaît le même sort). Elles reçoivent, avec leur sym­biote, un shavi (un don extra­or­di­naire). Celui de Zinzi est de retrou­ver les choses per­dues. Ancienne jour­na­liste déchue après la mort de son frère (dont elle est tenue pour res­pon­sable), Zinzi sur­vit dans Zoo City (un quar­tier déla­bré de Johan­nes­burg peu­plé de gens comme elle) en fai­sant com­merce de son shavi et en par­ti­ci­pant, à contre­cœur, à des arnaques à la nigé­riane.
Alors qu’elle se retrouve à court d’argent, un pro­duc­teur for­tuné, énig­ma­tique et mal­sain fait appel à elle pour retrou­ver non pas un objet mais l’une de ses pop stars dis­pa­rues. Zinzi se lance alors à la recherche de Song­weza au cœur d’une ville dont elle va tra­ver­ser deux des mondes qui s’y côtoient et qu’elle connaît bien : celui de la déchéance et de la pau­vreté et celui de l’opulence ; à bien des égards misé­rables l’un comme l’autre. Ce fai­sant, elle che­mi­nera sur les réa­li­tés de sa propre condi­tion, les bles­sures de son passé et l’incertitude qui habite son pré­sent et son avenir.

« Plai­sirs »

Le style est moderne, bran­ché, rem­pli d’expressions et de termes sud-africains qui ajoutent au réa­lisme des per­son­nages et des dia­logues, crus et sans emphase. Il donne à l’ouvrage une dyna­mique cer­taine et nous plonge dans l’action sans détour ni chi­chis sty­lis­tiques inutiles. Les des­crip­tions (des lieux et des situa­tions) sont sai­sis­santes et bien ima­gées. Elles nous font sen­tir l’odeur de la moi­sis­sure qui baigne Zoo City, celle de la came qui inonde les lieux bran­chés dans les­quels Zinzi (nar­ra­trice du début à la fin) évo­lue et celle, enfin, de la vio­lence, morale, phy­sique, directe ou plus sub­tile, qui infecte la plu­part des per­son­nages.
L’univers semble ori­gi­nal. Mais, à y regar­der de plus près, en se débar­ras­sant de tout ce qui fait de cet ouvrage un roman, il cor­res­pond à une société frac­tu­rée où les inéga­li­tés se sont creu­sées au point de don­ner nais­sance à deux uni­vers qui n’ont plus rien en com­mun. Et puis, on s’attache à Zinzi. Parce qu’en dépit de son carac­tère bien trempé et d’activités mora­le­ment condam­nables, on res­sent la fra­gi­lité d’un per­son­nage blessé, qui se pro­tège et qui sur­vit comme il peut, avec un passé qui le mine et un pré­sent qui ne lui per­met pas d’envisager l’avenir. Pour­tant, au fil du roman, il évo­lue et nous laisse décou­vrir une sen­si­bi­lité étouf­fée  par une his­toire per­son­nelle dif­fi­cile et un monde qui ne connaît aucune pitié. Sans un mot, puisqu’il ne s’agit que d’un ani­mal, cet aspect du per­son­nage est sub­ti­le­ment mis en lumière à tra­vers Pares­seux, son sym­biote. Il est l’autre ver­sant de Zinzi, celui qui s’exprime silen­cieu­se­ment, davan­tage à tra­vers les faits que les mots.

« Regrets »

On regret­tera une immer­sion peut-être trop rapide dans l’action, au point par­fois d’avoir quelques dif­fi­cul­tés à « retrou­ver ses petits ». Bien des pré­sup­po­sés sont induits, comme des évi­dences. On aurait aimé qu’ils nous soient davan­tage contés. On regret­tera éga­le­ment que les phé­no­mènes magiques qui par­sèment l’ouvrage (et qui ne sont pas expli­qués, ni dans leurs fon­de­ments, ni dans leurs pers­pec­tives) ne trouvent pas vrai­ment d’utilité, si ce n’est nous faire tou­cher du (bout du) doigt l’empreinte de la magie dans la culture sud-africaine.
Mais on regret­tera sur­tout, sur­tout, que l’idée – cap­ti­vante entre toutes – des sym­biotes n’ait pas été suf­fi­sam­ment exploi­tée. Passe encore que les ori­gines de la sym­biose res­tent inex­pli­quées (après tout, il s’agit de phé­no­mènes fan­tas­tiques qui n’ont pas à ver­ser dans le ration­nel), mais ne pas péné­trer le cœur de ce que cette sym­biose signi­fie, pro­voque ou sous-tend, c’est pas­ser à côté d’un uni­vers hors normes et encore trop méconnu. On reste avec un goût de « trop peu ». On aurait aimé se trans­po­ser dans la tête de Pares­seux et de tous les sym­biotes qui se sont retrou­vés atta­chés (enchaî­nés ?) à leur humain. Pour résu­mer, quelques pages de plus (allez, une bonne cin­quan­taine !) n’auraient pas été pour nous déplaire.

« Reproches »

On repro­chera à l’intrigue de nous embar­quer dans une enquête qui retombe comme un souf­flé, dans une grande bana­lité, et qui, fina­le­ment, n’a été ima­gi­née que pour nous faire che­mi­ner sur le des­tin per­son­nel de la nar­ra­trice (et de ceux qui la côtoient au plus près) à tra­vers un Johan­nes­burg aux mul­tiples visages et, plus lar­ge­ment, une Afrique défaite.
On repro­chera aussi une fin trop rapide, sans cohé­rence avec l’intrigue ini­tiale, car rien n’est jamais venu l’annoncer ou la faire devi­ner, même de loin. Elle tombe comme un che­veu (de Pares­seux) dans une soupe assez pauvre et abra­ca­da­bran­tesque. On reste avec cette impres­sion qu’il fal­lait finir.

dar­ren bryte

Lau­ren Beukes, Zoo City, Eclipse, 2011, 352 p. — 18,00 €.

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