Le livre d’Henric commence fort et sans blabla : « Photo datée du 6 juin 2013, 17 h 40. Cour de la Fabrique. L’homme est pris de dos. Il se dirige vers la porte cochère ouvrant sur la rue de Reuilly. Une masse impressionnante. Sous la chemise de lin blanche, on devine un corps d’une puissance inhabituelle ». Déjà le Boxeur Jean-Marc Mormeck (« The Marksman ») est sur le ring. L’auteur aussi. Ou presque : « je me vois déjà en Norman Mailer, au bord du ring, carnet de notes à la main ». Mais il ne s’agit pas d’une simple hagiographie. Henric est présent non seulement comme « écrivant » mais acteur de Boxe.
Au départ et pour le réanimer, « Une photo de vacances. Plage de Concarneau ». L’auteur y est gamin ou plutôt « gringalet qui ne semble pas particulièrement heureux d’être là, pieds nus sur le sable, affublé d’un slip mouillé qui lui pendouille entre les jambes. Fait-il la tête, parce que, désireux d’aller pêcher la crevette avec le filet qu’on vient de lui acheter, on l’oblige à poser pour une photo ? ». Entre cet enfant et la rencontre de l’auteur d’un âge mûr avec un héros, tout un arsenal d’images d’anciens champions vus dans Le Miroir des Sports et autres journaux des 50’ et 60’ jusqu’à des images plus vieilles : Jack Johnson qui « le 4 juillet 1910 à Reno, dans le Nevada, termine le match avec un crâne remodelé comme une glaise malaxée par les doigts d’un Rodin » puis par retour avant Marcel Cerdan, Ray Famechon, Joe Frazier, Dale Brown « devenu un tel informe magma sous les coups d’un Mormeck au mieux de sa forme ».
Henric en remont®e « un corps/une masse/un poids/une étendue/un volume » qu’il faut toujours tenter de garder. Le poids surtout, cette bataille de tous les jours et que l’auteur à sa façon redoute. Certes, l’auteur n’a pas à sacrifier au footing, au saut à la corde, aux bains de vapeur ou autres étuves. Mais à partir de là, l’histoire de la boxe prend d’autres dérives jusqu’à « George Gordon Byron, dit Lord Byron. Poète boiteux, et passionné de boxe. Il la pratiqua souvent en s’entraînant avec son valet, et sur un drôle de ring, la paille d’une écurie ».
Le livre est donc l’occasion de mini biographies précieuses d’icônes magnifiques d’un sport qui ramène au mal, à la violence, au racisme, au sexe voire à la religion, la guerres, les génocides. Néanmoins, le livre permet tout autant à l’auteur la recherche du temps perdu de l’enfance et de l’adolescence. Ils font ce que l’auteur est devenu et qui il est. Ici avec Mormeck comme sparring-partner. Tout est O.K. et rien K.O. Décapant.
jean-paul gavard-perret
Jacques Henric, Boxe, Le Seuil, coll. Fiction & Cie, Paris, 2016.
Merci pour ce beau texte. (L’éditrice de la première monographie sur Jacques Henric, “Jacques Henric entre image et texte”, chez Tinbad, largement passée sous silence , on se demande bien pourquoi ?)