Fabienne Jacob, Les séances — Rentrée 2016.

Trois femmes

Avec sim­pli­cité, clarté, conci­sion Fabienne Jacob trans­forme la manière de « mon­ter » sa fic­tion. Les thèmes majeurs de la roman­cière – l’image (pho­to­gra­phique mais pas seule­ment), l’identité, le temps, les rap­ports fami­liaux et les enfants qui peuvent en décou­ler — sont liés à la topo­gra­phie du roman qui par retour reçoit une charge per­ti­nente par rap­port au tout venant fic­tion­nel. Et ce, jusqu’en ce que les trois femmes disent par­fois de manière énig­ma­tique. La mère par exemple à pro­pos de l’enfant que sa fille pour­rait gar­der : « Celui-ci n’est pas mon hori­zon. Si Liv garde cet enfant, elle ne sera pas Nul­le­pare elle n’aura nulle part où aller. Elle aura un quelque part ».
Sor­tant le roman de toute pers­pec­tive prous­tienne, la recherche du temps perdu se fait ici dans l’avancée géo­gra­phique et lit­té­raire. Sur­git une « modi­fi­ca­tion » (hom­mage invo­lon­taire à la dis­pa­ri­tion de Butor) : « Irène voit à tra­vers la vitre (d’une voi­ture de loca­tion qui a rem­placé le train) un pay­sage qu’elle est la seule à voir ». Mais Fabienne Jacob ajoute l’essentiel (que Butor avait omis) : « Et pour cause, ce pay­sage est inté­rieur ». Preuve que rien n’est « stable » même si les réac­tions affec­tives et sti­muli sociaux semblent se répéter.

C’est pour­quoi à l’inverse du cor­pus tota­li­sant ou com­pact l’auteur a choisi la suc­ces­sion de seg­ments courts, de mémoires en frag­ments, de frag­ments de mémoire. Ils naviguent entre les assises du réel et les arêtes de l’imaginaire. Le lec­teur est replongé au sein d’un temps fluc­tuant (à l’inverse du « temps pur » de Proust) dans une syn­taxe rigou­reuse où les moments et les lieux se déplacent ou se super­posent entre passé, pré­sent et futur. Tout l’atelier de la créa­tion est là, entre sur­gis­se­ments et remon­tées. Il existe sans doute des trous de mémoire mais ils sont com­pen­sés par un « autre endroit du corps que le cer­veau ». Preuve que comme l’eau, les organes ont une mémoire.
Reste le rap­port des deux femmes et de leur mère. Il demeure fixé par le sceau de l’inquiétude et — sinon du ratage — du moins de « l’à-côté », là où le vivace côtoie le lacu­naire. Et quand une ombre se dis­sipe une autre appa­raît. For­cé­ment, ce qu’on nomme réa­lité perd sa sta­bi­lité. La — sinon dis­pa­ri­tion — du moins modi­fi­ca­tion s’agence de manière sub­tile. Elle semble avoir été trou­vée par la roman­cière de manière ins­tinc­tive afin que passé et pré­sent se pénètrent à la recherche du moi le plus pro­fond. L’essence de la lit­té­ra­ture (comme de la soli­tude qui la fonde) est mise à nu en un texte qui devient une cava­tine aussi pré­cise qu’allusive. La pudeur est là : Fabienne Jacob garde le silence sur les bles­sures qui n’intéressent qu’elle. Et ce, avec l’extrême pré­ci­sion des som­nam­bules qui marchent sur les toits sans jamais tom­ber. Si bien qu’un lumi­neux éphé­mère s’installe face à la nuit.

jean-paul gavard-perret

Fabienne Jacob, Les séances, Gal­li­mard, Paris, 2016, 144 p. — 15,00 €.

2 Comments

Filed under Romans

2 Responses to Fabienne Jacob, Les séances — Rentrée 2016.

  1. Villeneuve

    ” Fabienne Jacob écrit tou­jours le même livre , mais je lirai encore le prochain ”

  2. Pingback: Les séances | Ma collection de livres

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