Anne-Laure H-Blanc invente une présence mystérieuse au-delà des limites habituelles de la représentation. Le paysage appelle le scandale radieux d’une forme de traversée par diverses techniques que l’artiste savoyarde domine. Elles sont liées à une idée d’altérité dans le feuilletage des matières et parfois le jeu des translucidités. Anne Laure H-Blanc introduit la mutation de la mutation. C’est une boucle, un échange entre l’art et le geste. Un va-et-vient exigeant dans lequel le chemin à parcourir est immense. Car imaginer n’est jamais restreindre mais développer des échos d’une fête aussi païenne que sacrée sur la voie lactée de l’inaccessible.
Anne Laure H-Blanc, Galerie du Tournant, Saint Alban de Montbel, du 24 Septembre au 16 octobre 2016.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La montagne juste en face de chez moi, et qui dans l’embrasure de la fenêtre constitue un tableau vivant, changeant en perpétuel mouvement.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Parfois au chaud dans mes poches, parfois perdus, envolés, oubliés parce que la vie en a voulu ainsi.
A quoi avez-vous renoncé ?
A rien et à tout, excepté à ma liberté.
D’où venez-vous ?
D’un petit coin de Savoie, le Beaufortain qui fut comme un nid pour moi et où j’ai grandi à la fois dans une certaine innocence et une conscience aiguë de la nature qui m’entourait.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’impatience, l’honnêteté, un certain regard sur la vie, la colère, le dégoût de l’injustice, le plaisir de bien faire, un rapport intime au lieu, la pudeur, l’amour de l’art, le respect de l’autre…
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Boire mon thé dans un joli bol.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne sais pas trop peut-être mon rapport au monde un peu complexe mais c’est le cas de beaucoup d’artistes, cette capacité à la fois d’être dans le cérébral et l’émotion pure, et ce besoin d’être toujours dans le faber…
Comment définiriez-vous votre approche du paysage ?
Mon approche du paysage est une approche avant tout sensible. Le paysage est prétexte, il est le lieu de toutes nos émotions, des mémoires qui se superposent, ce n’est pas un paysage mais des paysages, des éléments entrevus, vécus, et qui se retrouvent à un moment donné, mélangés à d’autres éléments. C’est une multiplicité de regards, en l’occurrence le mien… Il s’agit d’un espace ouvert, un arrière-pays ; celui dont parle Bonnefoy, quelque chose qui a été mais qui n’est plus.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
La chute d’Icare de Brueghel, dans un livre appartenant à ma mère où l’on distingue à peine une jambe dans un coin du tableau, ce paysage si serein où tout est tranquille pendant que se déroule un drame atroce. Fascinant !
Et votre première lecture ?
Il y en a deux : “Mon amie Flicka” de Mary O ‘Hara et “Croc Blanc“de Jack London, qui m’ont donné le goût des voyage et des grands espaces…
Quelles musiques écoutez-vous ?
Parfois du classique avec des disques que je peux écouter en boucle comme le Stabat Mater de Pergolese, et beaucoup de jazz, avec une prédilection pour Keith Jarrett et ses albums Jasmine et Concert à Köln, des musiques qui me permettent de me concentrer et de me retirer du monde.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Un barrage contre le Pacifique » de Margurite Duras
Quel film vous fait pleurer ?
« Les Misfits » de John Huston et « La nuit du chasseur » de Charles Laugthon
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme plus tout à fait jeune mais pas encore tout à fait vieille, à la joie mélancolique, qui a encore plein d’envies et qui se dit qu’elle n’aura jamais assez d’une vie pour les réaliser !
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Georges Didi-Huberman
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Peut-être l’étang de Walden là où Thoreau a construit sa cabane, mais quand on voit ce que c’est devenu aujourd’hui… je ne sais plus !
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Beaucoup, en tout cas que j’admire et qui me font vibrer : pour les écrivains, pêle-mêle des poètes et des romanciers, Philippe Jaccottet, François Cheng, Philippe Denis, Yves Bonnefoy Charles Juliet, Marguerite Duras, Rick Bass, Jim Harrison, Siri Hustvedt, Nancy Huston, etc., pour les artistes, Rothko, les expressionnistes américains, les peintres flamands, Olivier Debré, Bill Viola, Per Kirkeby, Zao Wou Ki, les peintres classiques de la peinture chinoise et japonaise, Cézanne, Turner, Penone, Alexandre Hollan … et d’autres encore que j’ai oubliés de mentionner.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Rien car je n’aime pas les anniversaires !
Que défendez-vous ?
Le respect de la nature et l’innocence des enfants
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Rien car je ne suis pas d’accord !
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Sacré Woody Allen !
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Plein ! Mais garder le mystère et ne pas tout dire me vont bien.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 20 septembre 2016