Malraux : reprises et révisions
Le grand problème quant à la pérennité (du moins dans une période historiquement balisée) de l’œuvre de Malraux est lié à l’office ministériel de son auteur. De ce qu’il a gagné en majesté au sein des ors de la République, son œuvre a pâti cruellement. Elle a subi une sévère réplique ou un coup de pied de l’âne. D’autant que les responsabilités du romancier ne l’ont pas soustrait à la pompe oratoire. Bien au contraire. Le lyrisme de Malraux s’y est engouffré de manière ostentatoire. On le voit dans le (superbe) ensemble des œuvres choisies pour ce tirage spécial de la Pléiade.
En effet, et à coté de livre majeur de l’auteur La condition humaine (pour certain il serait stylistiquement moins réussi que L’espoir, voire… ) se retrouvent des œuvres plus oratoires et ronflantes : Lazare ou le fameux discours pour le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. Mais sont surtout présentes des œuvres méconnues telles Royaume-Farfelu ou Esquisse d’une psychologie du cinéma et divers textes sur l’art qui redonnent une superbe à celui qui a été souvent taxé de vieille lune ou rétrograde de l’esthétique. Mais là encore le penseur a été victime du ministre.
Adepte des angles audacieux, Malraux se laisse parfois emporter par des perspectives bien moins douteuses qu’on ne le croit. Il sort du registre du simple affect afin de porter vers une forme d’écoute des arts et de la culture. L’espérance anime l’ensemble de manière parfois naïve mais indéfectible.
Cette édition permet de rétablir un rapport plus pacifié à l’oeuvre. Elle ne s’embrasse pas comme un corps univoque : elle s’envisage à travers diverses « peaux » qui ne cultivent pas forcément des poses « suggestives ». Sur elles s’y ventilent bien plus que du vide : un air frais voire un vent de douce folie — et rejaillissent des perspectives oubliées qui méritent une attention soutenue.
jean-paul gavard-perret
André Malraux, La condition humaine et autres écrits, La Pléiade, Gallimard, 2016.