Dobbs & Stéphane Perger, Odyssée sous contrôle

Un récit par­fai­te­ment contrôlé !

Ce conte d’anticipation paru en 1959, mêlant avec brio polar et récit psy­cho­lo­gique, est le der­nier de la série des onze romans livrés par Wul dans sa période Anticipation-Fleuve noir. Ce livre est rela­ti­ve­ment aty­pique dans l’œuvre du mythique auteur car, s’il prend l’espace pour décor, l’essentiel de l’intrigue s’appuie sur des concepts men­taux et se joue dans un exer­cice de style mul­ti­pliant les niveaux de nar­ra­tion. Certes, le décor prend en compte des incon­tour­nables du space opera, avec des extra­ter­restres bien dis­sem­blables, voire effrayants, des vais­seaux spa­tiaux, des robots, mais aussi des pos­si­bi­li­tés futu­ristes comme les chan­ge­ments constants de per­son­na­li­tés et de phy­sio­no­mie. La lec­ture du roman qui com­porte un nombre res­treint de pages, comme le cahier des charges l’imposait à l’époque, offre un rythme tout en accé­lé­ra­tion jusqu’à une conclu­sion brutale.

C’est dans un bar, lors d’une escale à Pink-Moon une pla­nète entiè­re­ment dédiée au plai­sir sous toutes ses formes, qu’Inès Darle fait la connais­sance de Michel Maistre. Celui-ci semble très bien connaitre la pla­nète Éme­raude, des­ti­na­tion de la jeune femme. Lau­réate du pres­ti­gieux prix de poé­sie Le Luth d’Or, elle a gagné ce voyage. Dans l’astronef, alors qu’il la rac­com­pagne jusqu’à sa cabine, elle est effrayée à la vue d’un Cépode, un extra­ter­restre ten­ta­cu­laire dont la race régnait sur Eme­raude avant la conquête des humains. Pour la ras­su­rer, il lui pro­pose de s’installer dans la cabine voi­sine qui est libre.
Michel Maistre n’est pas le com­mer­çant qu’il feint d’être, il est l’agent 27. Un mes­sage le pré­vient qu’un cépode sus­pect a embar­qué à bord. Il reçoit la visite d’un res­pon­sable de la com­pa­gnie de trans­port et d’un poli­cier. Son ancienne cabine a explosé sous l’effet d’une bombe à gaz, tuant le gar­çon d’étage. Pour ne pas faire de torts à la com­pa­gnie, cela doit res­ter secret. Il est donc décidé, pour trom­per les auteurs de l’attentat, d’hospitaliser Michel dans un état grave.
Johan, son col­lège, sur­git dans la chambre. Un mes­sage a été capté par le Cen­tral, mes­sage annon­çant son arri­vée sur Éme­raude et qui a déclen­ché le départ de trois Cepodes vers Pink-Moon. Il doit enquê­ter sur la dis­pa­ri­tion de soixante-dix per­sonnes en marge des auto­ri­tés offi­cielles. Cette affaire prend un tour encore plus dra­ma­tique quand Inès est enle­vée. Michel a le sen­ti­ment que l’ennemi connaît tous ses faits et gestes. Cap­turé et vic­time d’expérimentations cruelles, le pire est encore à venir…

Les ayants droit de Ste­fan Wul per­mettent une adap­ta­tion libre des œuvres et Dobbs ne s’est pas privé de cette liberté qui lui a donné la pos­si­bi­lité d’aller encore plus loin que Wul dans la thé­ma­tique du voyage inté­rieur. Il joue, avec Maistre, sur une situa­tion com­plexe qui repose sur nombre d’éléments psy­cho­lo­giques, sur la mani­pu­la­tion men­tale, pour pro­po­ser une double lec­ture, aller vers un happy end plus cynique que l’original. Il expli­cite, d’ailleurs, sa démarche dans une post­face pas­sion­nante.
Le tra­vail de Sté­phane Per­ger (des­sin et cou­leurs) est bluf­fant. Il pro­pose des com­po­si­tions de planches psy­ché­dé­liques et réus­sit à trans­mettre toutes les étapes céré­brales du héros, les dif­fé­rentes phases plus ou moins mou­ve­men­tées de ce voyage, de cette Odys­sée sous contrôle. Il a choisi d’utiliser : “des cou­leurs qui naviguent entre dif­fé­rentes nuances de magenta, d’indigo, de parme et de vio­let”, pour  “faire réfé­rence à la ges­ta­tion, à la peau, au cocon, à l’organique.” Il en résulte une mise en images inha­bi­tuelle avec une cohé­rence remar­quable entre un des­sin au trait fin et des cou­leurs qui donnent de l’ampleur, du volume, de la vie.

Un bien bel album, sans doute un des meilleurs de la série.

serge per­raud

Dobbs (scé­na­rio d’après le roman de Ste­fan Wul) & Sté­phane Per­ger (des­sin et cou­leurs), Odys­sée sous contrôle, Ankama, coll. “Les Uni­vers de ste­fan Wul”, sep­tembre 2016, 64 p. – 14,90 €.

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