Emmanuel de Waresquiel, Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793

L’autre régi­cide 

La mort de Louis XVI consti­tue, on le sait, une rup­ture fon­da­men­tale dans l’histoire de la Révo­lu­tion et de la France. Plus aucun retour en arrière n’était désor­mais pos­sible. Les révo­lu­tion­naires se condam­nèrent eux-mêmes à réus­sir, même et sur­tout au prix du sang de mil­liers de Fran­çais. Ce pro­cès avait une logique poli­tique, res­pecta glo­ba­le­ment les règles judi­ciaires (bien qu’il fût jugé par les dépu­tés, ses enne­mis poli­tiques).
Rien de tout cela dans le pro­cès de la reine Marie-Antoinette, pour­tant capi­tal à plus d’un titre. Cet épi­sode est le plus sou­vent traité dans les bio­gra­phies de la sou­ve­raine, et donc d’une manière assez rapide. Il n’existait pas d’étude pré­cise sur le pro­cès en lui-même. Le manque est com­blé avec le livre à la fois grave, rigou­reux et plai­sant, d’Emmanuel de Waresquiel.

A l’aide de sources inédites, l’auteur fait res­sur­gir de l’ombre les hommes qui, à dif­fé­rents niveaux, action­nèrent la machine infer­nale qui broya cette femme déjà bri­sée par les épreuves : les jurés, les juges, les témoins. La Révo­lu­tion les avait arra­chés à l’anonymat de petits métiers en leur per­met­tant une ascen­sion poli­tique. Ils sur­ent la remer­cier en jetant la reine dans la mort. Au-dessus d’eux pla­nait l’ombre des com­man­di­taires, des bour­reaux aux mains propres : le bon fonc­tion­naire Fouquier-Tinville, le lâche et ordu­rier Hébert, le froid Robes­pierre.
Cette paro­die de pro­cès d’une femme sans pou­voir jette une lumière crue sur la Révo­lu­tion. Comme tous les sys­tèmes tota­li­taires, elle a besoin d’une figure à haïr, d’un ennemi à jeter en pâture aux bons citoyens, d’un monstre jus­ti­fiant sa répres­sion. Marie-Antoinette incar­nait tout ce que nos bons révo­lu­tion­naires exé­craient : reine, étran­gère, femme, un brin fri­vole. Elle le paya de souf­frances per­son­nelles, jusqu’à devoir répondre d’accusation d’inceste.

En fin de compte, il faut s’intéresser au pro­cès de la reine, et au-delà à l’élimination des membres de la famille royale (il faut se sou­ve­nir du mar­tyr du petit Louis XVII et de la mort inutile de sa tante Mme Eli­sa­beth). Car leur mort – comme celle encore plus expé­di­tive des Roma­nov dans la nuit atroce d’Ekaterinbourg – ne leur appar­tient pas tota­le­ment. Elle est le signal autant que le sym­bole de celles de mil­liers d’anonymes englou­tis par le Moloch révo­lu­tion­naire dans les marais de Ven­dée, les rues de Lyon, les pri­sons de Paris.
Ce livre pas­sion­nant, écrit dans un style inimi­table, glace le sang. Il faut donc le lire et méditer.

fre­de­ric le moal

Emma­nuel de Wares­quiel, Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793, Tal­lan­dier, sep­tembre 2016, 359 p. — 22, 50 €.

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