La mort de Louis XVI constitue, on le sait, une rupture fondamentale dans l’histoire de la Révolution et de la France. Plus aucun retour en arrière n’était désormais possible. Les révolutionnaires se condamnèrent eux-mêmes à réussir, même et surtout au prix du sang de milliers de Français. Ce procès avait une logique politique, respecta globalement les règles judiciaires (bien qu’il fût jugé par les députés, ses ennemis politiques).
Rien de tout cela dans le procès de la reine Marie-Antoinette, pourtant capital à plus d’un titre. Cet épisode est le plus souvent traité dans les biographies de la souveraine, et donc d’une manière assez rapide. Il n’existait pas d’étude précise sur le procès en lui-même. Le manque est comblé avec le livre à la fois grave, rigoureux et plaisant, d’Emmanuel de Waresquiel.
A l’aide de sources inédites, l’auteur fait ressurgir de l’ombre les hommes qui, à différents niveaux, actionnèrent la machine infernale qui broya cette femme déjà brisée par les épreuves : les jurés, les juges, les témoins. La Révolution les avait arrachés à l’anonymat de petits métiers en leur permettant une ascension politique. Ils surent la remercier en jetant la reine dans la mort. Au-dessus d’eux planait l’ombre des commanditaires, des bourreaux aux mains propres : le bon fonctionnaire Fouquier-Tinville, le lâche et ordurier Hébert, le froid Robespierre.
Cette parodie de procès d’une femme sans pouvoir jette une lumière crue sur la Révolution. Comme tous les systèmes totalitaires, elle a besoin d’une figure à haïr, d’un ennemi à jeter en pâture aux bons citoyens, d’un monstre justifiant sa répression. Marie-Antoinette incarnait tout ce que nos bons révolutionnaires exécraient : reine, étrangère, femme, un brin frivole. Elle le paya de souffrances personnelles, jusqu’à devoir répondre d’accusation d’inceste.
En fin de compte, il faut s’intéresser au procès de la reine, et au-delà à l’élimination des membres de la famille royale (il faut se souvenir du martyr du petit Louis XVII et de la mort inutile de sa tante Mme Elisabeth). Car leur mort – comme celle encore plus expéditive des Romanov dans la nuit atroce d’Ekaterinbourg – ne leur appartient pas totalement. Elle est le signal autant que le symbole de celles de milliers d’anonymes engloutis par le Moloch révolutionnaire dans les marais de Vendée, les rues de Lyon, les prisons de Paris.
Ce livre passionnant, écrit dans un style inimitable, glace le sang. Il faut donc le lire et méditer.
frederic le moal
Emmanuel de Waresquiel, Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793, Tallandier, septembre 2016, 359 p. — 22, 50 €.