Jehane Zouyene,Grisélidis Réal, peintre — catalogue raisonné

Redé­cou­vrir Gri­sé­li­dis Réal

Née à Lau­sanne en 1929, Gri­sé­li­dis Réal subit une édu­ca­tion mater­nelle très rigide contre laquelle elle se révolte. Elle entre­prend des études aux Arts Déco­ra­tifs à Zurich. Mariée à 20 ans puis divor­cée deux fois et deve­nue mère de quatre enfants, elle part en Alle­magne. Sans argent, sans papiers ni droit de tra­vailler, en 1961 elle décide de se pros­ti­tuer dans un bor­del clan­des­tin de Munich pour nour­rir ses enfants. Elle sera fina­le­ment arrê­tée pour avoir vendu de la mari­juana à des sol­dats amé­ri­cains. En pri­son, elle écrit et peint. De retour en Suisse, elle tente de quit­ter la pros­ti­tu­tion pour se consa­crer à la créa­tion artis­tique. Son pre­mier livre, Le Noir est une cou­leur (Bal­land, 1974), est un ouvrage auto­bio­gra­phique auda­cieux et livre où l’auteur devient une véri­table héroïne de roman tant sa force dépasse ce qui est retenu comme tel.
Au cours des années 1970, Gri­sé­li­dis Réal est une acti­viste de la « Révo­lu­tion des pros­ti­tuées » à Paris. Elle assure que la pros­ti­tu­tion peut être un choix et elle tient à ce que sur ses papiers figurent les termes d écri­vain et de péri­pa­té­ti­cienne. Gri­sé­li­dis Réal reven­dique le rôle social de la pros­ti­tu­tion en tant qu’aide à la misère humaine et elle consi­dère son acti­vité comme « un Art, un Huma­nisme et une Science ». Elle importe à Genève son com­bat en 1977 et reprend la pros­ti­tu­tion aban­don­née sept ans aupa­ra­vant. Elle y fonde l’association de défense des pros­ti­tués (ASPASIE) et donne de nom­breuses inter­views, assure des réunions publiques et des confé­rences dans les universités.

A 66 ans, après trente ans de métier, elle quitte son métier de pros­ti­tuée et publie La Passe ima­gi­naire  puis  Les Sphinx,  com­pi­la­tion de lettres envoyées à son Jean-Luc Hen­nig com­pa­gnon de lutte de la Lau­san­noise. Après sa mort est publié son pre­mier livre écrit lors de sa déten­tion en Alle­magne : « Suis-je encore vivante ? Jour­nal de pri­son ». Le livre fait le pont sur la vie et l’œuvre d’une artiste et com­bat­tante qui ne peut lais­ser indif­fé­rente. En 2009, sa dépouille est trans­fé­rée — non sans polé­mique– au cime­tière des Rois à Genève avec comme épi­taphe : «Ecri­vain, peintre, pros­ti­tuée ».
Le livre de Jehane Zouyene per­met la mise en exergue de l’œuvre plas­tique de Gri­sé­li­dis Réal. C’est sans doute l’aspect le plus méconnu de celle qui ne put se livrer à son art que lors d’épisodes impré­vus (la pri­son) et à quelques moments dits « per­dus » mais qui ne le furent pas pour l’art. La « péri­pa­té­ti­cienne » qui fit du stylo à bille l’outil majeur de ses œuvres et pensa pou­voir vivre de son art déve­loppa dans son œuvre le goût pour les montres et les thèmes récur­rents à son enga­ge­ment : l’éros. Il devient aussi orne­men­tal que fan­tas­tique en une suite d’ “auto­por­traits” dans une para­doxale opé­ra­tion d’amour. Elle porte jusqu’à la trans­pa­rence l’expression d’une mémoire à tra­vers le bou­quet des formes et des cou­leurs. La femme y prend la place de Dieu. Elle sert d’appel non sans humour à la ten­dresse afin de tem­pé­rer les convul­sions de la vie en l’approche de l’unité qui asso­cie le fémi­nin au cosmos.

jean-paul gavard-perret

Jehane Zouyene, Gri­sé­li­dis Réal, peintre — cata­logue rai­sonné, Edi­tions HumuS, Lau­sanne, 2016.

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