Deux ombres errent dans le roman dense et mystérieux de Mathias Lair. La réalité et sa fiction sont rebâties au fil du temps. « Je ne voulais pas recommencer. Encore nous perdre et nous retrouver, jouer éternellement Julie et Jim ». Et c’est pourtant ce qui arrive. Entre passion et haine. Adoration et peur. A la poursuite de l’impossible. Où la froideur de la femme ne fait que tordre les boyaux de l’amant pris entre la désirance et la menace permanentes. L’angoisse est larvée et la tentation idem jusqu’à la « décision » finale, décombre ou monument d’un vaste mirage cerné par les ombres puissantes d’un passé que nul ne parvient à reléguer.
La lucidité, fût-elle portée par une tension très forte, reste encore une vue de l’esprit, un artefact. Avec l’impression de devoir à chaque instant reprendre le fil qui s’emmêle, qui casse, qui se maintient serré dans une main presque vide. Le tout dans un état intermédiaire entre absence et présence de celui « qui plonge dans un plaisir qui persiste sans éclater ». Comme si tout ne pouvait commencer qu’après coup, indirectement. Autant dans des vides, des creux que dans les pleins d’ombres et de tensions qui sourdent des silences où tout est prêt à lâcher à chaque instant et où le narrateur ne se fait pas plus « beau » (moralement) qu’il est.
L’amour restant au fil du temps presque (le presque est important) une suite d’incidents malencontreusement délicieux. Dépossédés, les amants feignent de n’en plus parler. Mais ils s’arriment à leur longe comme la chèvre de Monsieur Seguin. Celle-là ne permet jamais une distance trop glaçante avec le récit, l’alter égoïste, la décision à prendre (ou pas). Dès que des forces obscures essaient d’étouffer l’ « affaire », d’autres ne font que la ranimer.
Pour autant et quoique psychanalyste, l’auteur ne tombe jamais dans les explications. Il se limite à un béhaviorisme beaucoup plus implicite et percutant. Son héros avance seul, et n’est pas excessivement menacé : il se laisse faire par lui-même afin que ravivent les allusions à son propre passé. Par bribes, les détours incessants font le prix d’un « échange » qui ne prend sens que dans les codes que l’on devine sans jamais en détenir la clé d’autant que le héros lui-même ne les a pas. Ou se les refuse dans son « ainsi sois je » (titre d’un autre livre de Lair), en son intranquillité « maladive » et manifestant de savoir qu’il ne fait pas vraiment partie de lui-même tout en continuant de tirer ses propres ficelles. Pas forcément pour les dénouer mais afin que ce « quelque chose » obsédant permette au roman de se dérouler comme une pelote emmêlée.
jean-paul-gavard-perret
Mathias Lair, L’amour hors sol, Serge Safran éditeur, 2016, 152 p. — 16,90 €.
Addenda . Les diverticules culturels paradent autour de la quête inutile d’un amour trépassé . Ainsi soit il .