Frédéric Boyer, Les yeux noirs

Frédé­ric Boyer : pou­pées brisées

Les « pou­pées » de Fré­dé­ric Boyer appar­tiennent au champ d’une révolte sou­ter­raine et intime. L’écrivain fait pen­ser à ces femmes Mayas qui créent d’étranges figu­rines faites de divers mor­ceaux. Mais les « Eve » de l’artiste sortent des tra­di­tions. Elles sont toutes étranges pour une rai­son majeure : elle appar­tiennent à l’enfance de l’auteur. Elles pos­sèdent un poten­tiel méta­pho­rique com­plexe et puis­sant. Cha­cune sou­lève de nom­breuses ques­tions au sujet de la fémi­nité et de sa re-présentation.
Mais il a fallu du temps à l’auteur pour remon­ter le temps. Sans effet de nos­tal­gie mais juste pour com­prendre « Yeux noirs » et ses sœurs, puisque cha­cune a créé une ren­contre trou­blante. L’adulte doit en racon­ter l’oubli, ce qui en ce sens exo­nère l’auteur d’effet de nostalgie.

Frédé­ric Boyer le rem­place par un « mon­tage » du sou­ve­nir perdu et ce qu’il fait reve­nir en tant que pos­ses­sion par et pour l’imaginaire comme pour le récit construit, afin de mon­trer com­ment le sou­ve­nir nous « fait ». Pré­senté comme une déli­vrance, ce texte l’est véri­ta­ble­ment puisqu’il devient une opé­ra­tion au sens pre­mier du terme : une ouver­ture. Mais c’est bien là le pro­blème : cette césure ouvre ce qu’il existe de plus inson­dable, à savoir l’amour maître par excel­lence d’ “erreurs et de faus­se­tés”  dès ses pre­mières foudres, ses uni­ver­sa­li­tés, sa gran­deur et sa misère.
Le nar­ra­teur (double assez évident de l’auteur) explore sa petite enfance et sa jeu­nesse. Il tente de faire le bilan de ses sen­ti­ments, ses émo­tions, ses his­toires, ses corps et ses visages dans un jeu où de fait se véri­fie la sen­tence de Michaux : « Au com­men­ce­ment la répé­ti­tion » et où les choses de l’amour font par­fois ren­trer très (trop ?) tôt dans le monde des « grands ».

Surgissent d’étranges icônes. Fon­dée for­cé­ment — du moins lorsqu’on est enfant — sur l’insolite, chaque pou­pée devient la pièce rap­por­tée qui per­met d’entrer dans le domaine de l’insondable jusque par les bles­sures cau­sées par cer­taines d’entre elles. Com­plexes et com­po­sites, ces pou­pées tiennent donc de l’histoire des Mys­tères du Moyen Age comme de l’aventure plas­tique post­mo­derne.
S’y conjuguent diverses com­bi­nai­sons et agglo­mé­rats de signes,  des élé­ments sombres et mena­çants et d’autres plus en clarté et en charme pour sou­li­gner l’innocence et de la vio­lence. Si bien que le lec­teur ne sait plus à quelle saint ou sainte se vouer. L’ensemble com­mu­nique un sens perturbant.

jean-paul gavard-perret

Fré­dé­ric Boyer, Les yeux noirs, P.O.L édi­teur, Paris, 2016.

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