Michel Bussi, Le Temps est assassin

Un nou­veau tré­sor romanesque !

Michel Bussi adore créer des intrigues qui se déroulent à notre époque mais qui trouvent leur source dans un passé plus ou moins loin­tain, en géné­ral une géné­ra­tion. Il ne déroge pas à cette façon de faire dans le pré­sent roman où il construit un enchaî­ne­ment machia­vé­lique, jouant sur les sen­ti­ments les plus cou­rants qui animent les individus.

Clotilde, quinze ans, un look gothique ins­piré d’un per­son­nage de Beet­le­juice, tient son jour­nal intime où elle consigne, depuis le début des vacances, ce qu’elle observe et les sen­ti­ments qu’elle res­sent. Son frère vient la pré­ve­nir que ses parents l’attendent pour aller à un concert. Elle veut encore noter quelques pen­sées quand son père sur­git, lui attrape le poi­gnet et l’entraîne. Elle perd son jour­nal. Le regard que lui lance son grand-père lui fait peur… plus que d’habitude ! En route son père conduit vite. Et c’est un virage man­qué, une chute de vingt mètres, un acci­dent dont elle seule réchappe.
C’est seule­ment vingt-sept ans plus tard que Clo­tilde ose reve­nir sur les lieux avec Frank, son mari, et Valen­tine, sa fille de quinze ans. Ces der­niers se montrent peu inté­res­sés par ce pèle­ri­nage, un évé­ne­ment certes tra­gique mais qui leur est étran­ger. Un inconnu referme le jour­nal de Clo­tilde, per­plexe. Ainsi, elle est reve­nue… Pour­quoi ? Pour remuer le passé ? Jusqu’où voudra-t-elle aller … dans les gale­ries pour­ries des secrets de la famille Idrissi ?
Sur les lieux du drame, Clo­tilde acquiert la cer­ti­tude que son père n’a pas tourné, qu’il a foncé droit dans le pré­ci­pice. Le len­de­main, elle se rend jusqu’au bun­ga­low que sa famille occu­pait alors. Le couple d’occupants lui demande ce qu’elle veut, la voyant plan­tée devant chez eux. Après quelques expli­ca­tions sur les rai­sons de son atti­tude, le couple lui remet une lettre à son nom, arri­vée hier. Dedans, une petite feuille manus­crite signée par… sa mère ! Celle-ci lui demande, lorsqu’elle ren­dra visite à son grand-père, de se pla­cer dans un endroit pré­cis de manière à être vue et peut-être recon­nue.
Puis, son por­te­feuille, avec tous ses papiers, déposé dans le coffre de son bun­ga­low dis­pa­raît. À la gen­dar­me­rie où elle dépose plainte pour vol, le gen­darme qui la reçoit, après avoir pris connais­sance de son iden­tité, donc de sa filia­tion et de son passé, la presse de rendre visite au ser­gent en poste au moment de l’accident. Il a conti­nué d’enquêter et il a des révé­la­tions à lui faire. Elle apprend ainsi que la voi­ture avait été sabo­tée.
Qui vou­lait la mort de la famille et pour­quoi ? Que signi­fie cette lettre à la signa­ture authentique ?

Alter­nant son récit sur deux époques dis­tantes de plus d’un quart de siècle, Michel Bussi fait vivre deux exis­tences. D’abord, avec la décou­verte du contenu du jour­nal intime de l’héroïne, où il décrit avec humour les jours de vacances de l’été 1989 tels que vécus du haut des quinze ans de son héroïne. Il exprime sa volonté de se démar­quer, expli­cite son atti­tude face au groupe de jeunes adultes dont son frère aîné fait par­tie, mais dont elle est exclue car à cette période deux ou trois ans d’écart comptent énor­mé­ment.
Puis, il raconte le par­cours de Clo­tilde adulte, deve­nue avo­cate, mariée et mère de famille qui suit un jeu de pistes désta­bi­li­sant, allant de décou­vertes en révé­la­tions, sou­le­vant des pans entiers d’une société dont elle n’a jamais soup­çon­née l’existence quand elle était ado­les­cente. Il raconte avec verve les évé­ne­ments, petits et moins petits, qui jalonnent la vie d’une jeune fille qui s’éveille aux autres dans des rela­tions plus sen­ti­men­tales, la décou­verte consciente de l’amour, de la jalou­sie, du rejet et du déca­lage dans le regard des autres. L’auteur ter­mine chaque cha­pitre du jour­nal par un petit para­graphe où le mys­té­rieux lec­teur d’aujourd’hui fait part de son constat et des consé­quences de ce qu’il connaît par rap­port à ce qu’il pressent.

Paral­lè­le­ment, le roman­cier évoque les pro­blèmes liés à l’urbanisation de l’île, fait expri­mer par ses per­son­nages tous les points de vue avec une égale pro­bité, hon­nê­teté, cha­cun pré­sen­tant des argu­ments cohé­rents et rece­vables. Mais Michel Bussi sait aussi, comme peu d’auteurs, se jouer de son lec­teur, l’emmener sur des voies qui s’imbriquent et se détachent, révé­lant à chaque fois son lot de sur­prises. Il joue avec les sou­ve­nirs, sur la fra­gi­lité de ceux-ci, sur l’écart entre les rémi­nis­cences et la réa­lité des faits. Il manie, avec une maes­tria peu com­mune, les modi­fi­ca­tions que le cer­veau opère pour remettre en pers­pec­tive les sou­ve­nirs et les adap­ter à l’évolution psy­chique de l’individu.
Une fois encore, tel un pres­ti­di­gi­ta­teur, ce roman­cier hors pair emporte son lec­teur dans son uni­vers et lui fait vivre avec une puis­sance d’évocation remar­quable des moments déli­cieux de nos­tal­gie, vibrer avec ses per­son­nages et tom­ber bouche bée sur une conclu­sion tota­le­ment inattendue.

lire un extrait

serge per­raud

Michel Bussi, Le Temps est assas­sin, Presses de la Cité, mai 2016, 544 p. – 21,50 €.

 

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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