Quand Paris est sous les eaux…
Les catastrophes naturelles inclinent des voyous à profiter du chaos pour perpétrer leurs actes criminels. Cette situation reste tout à fait d’actualité et il n’est pas rare que les déplacements des populations entraînent le pillage. Cependant, Patrice Ordas va plus loin que le seul cambriolage. Il met en scène une intrigue fort bien troussée jusqu’à une conclusion qu’on ne voit pas arriver. L’inondation de 1910, une des plus formidables qui aient envahi Paris, permet au scénariste une série de péripéties, d’actions dont il, ne se prive pas, d‘ailleurs. Parallèlement, il fait revivre, dans le cadre des Années Folles, l’univers des ouvriers et le milieu des voyous, les fameux Apaches. Il met en avant les liens qui s’établissaient entre des hommes mobilisés par l’armée, envoyés pour occuper et affirmer la présence occidentale dans les colonies.
Si le scénariste dresse un portait sympathique de ces anciens militaires, de leur camaraderie, il n’en n’est pas de même pour la galerie de voyous. Il les montre bien différents des clichés développés par une certaine vague romanesque, par un certain cinéma voulant mettre en valeur des crapules au grand cœur tels des “Arsène Lupin” ou des “Robin des bois” modernes. Il donne de ce monde interlope une vision bien proche de la réalité, montre le côté sordide de ces petites frappes.
En janvier 1910, Paris est en proie à une crue d’exceptionnelle ampleur. Louise, ouvrière chez Verne et fille adoptive du chef d’atelier de cette joaillerie de la Place Vendôme, est secourue par un homme qui se présente comme pianiste du Moulin-Rouge.
Le Fennec et sa bande, avec la complicité de Valentin, apprenti dans cette joaillerie, font main basse sur les bijoux commandés par le Tsar. Ils assassinent le concierge et le chef d’atelier, ce qui révolte Valentin qui veut partir. L’un des complices parle de le saigner, mais Le Fennec décide que c’est à la môme Zoiziau, qui l’a sauté, de savoir si elle veut le garder.
Louise suit Delaroche jusqu’à son appartement où il lui propose pour passer le nuit. Il doit retourner… au Moulin-Rouge. Dans les lieux, elle s’étonne qu’un modeste pianiste de café-concert puisse avoir les moyens de vivre ici. Il lui révèle qu’il est inspecteur de la Brigade Régionale de Police mobile. Il la surveillait car ils étaient avertis d’un projet de casse chez Verne. Lorsqu’elle lui dit que Valentin connaît la combinaison du coffre, il décide de se rendre immédiatement sur place. Elle insiste pour l’accompagner. C’est là qu’ils découvrent le drame.
La môme Zoiziau, malade, sort cependant et demande aux complices du Fennec de tuer Valentin dans un endroit discret car la police rôde. L’apprenti, affolé, raconte que le caïd n’a pas l’intention de partager le butin, ce qui déstabilise les voyous. Zoiziau décide de retrouver son mac dans sa tanière pour des explications. Il sera toujours temps de se débarrasser de Valentin plus tard.
Le Fennec, après avoir tué son receleur, pense partir pour les Amériques avec son butin. Mais, traqué par la police depuis son quartier général, il descend dans le métro, un réseau qu’une inondation totale menace. Les inspecteurs et Louise ne peuvent faire autrement que le suivre…
Le graphisme de Nathalie Berr, une dessinatrice de grand talent, restitue brillamment le Paris des années 1910, tant pour les décors que pour les personnages. Elle offre de superbes vues des espaces inondés en surface comme dans le réseau métropolitain. Elle met en scène de façon dynamique une galerie de protagonistes étoffée et variée, faisant un gros travail sur les apparences et le rendu des expressions. On ne peut que regretter que ce talent ne soit pas plus souvent sollicité. Mais, par ailleurs, la qualité de tels dessins ne se satisferait pas d’une production de stakhanoviste de la planche. Les couleurs de Sébastien Bouet, dans les clairs obscurs, apportent une véritable plus-value et rend, par exemple, l’atmosphère humide palpable.
Le diptyque Les Naufragés du Métropolitain offre une lecture attrayante et un régal pour les yeux.
serge perraud
Patrice Ordas (scénario), Nathalie Berr (dessin) & Sébastien Bouet (couleurs), Les Naufragés du Métropolitain, t. 2 : “Station Assassins”, Editions Bamboo, coll. Grand Angle, juin 2016, 48 p. – 13,90 €.