Arsène Houssaye le trop oublié, avant de connaître la gloire (administrateur de la Comédie Française, éditeur de Baudelaire), a connu la vie de galère et dans son enfance celle de paysan. Il connaissait donc bien le cochon. Il en a secoué les miasmes pour mettre à nu la vraie débauche, la pusillanimité, l’absence de vertu et d’âme des sociétés, leur graisse et leur crasse.
Sa drôlerie aussi potache que paroxysmique n’est pas faite pour les cœurs affaiblis par la courtoisie des amours platoniques. Il faut néanmoins oser la “bête” pour terrasser l’ange afin que l’homme puisse devenir qui il est en sa “dignité” terrestre.
Dans sa dédicace du Spleen de Paris, Baudelaire écrivait à Houssaye : « Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue ». C’est tout autant le cas de La vie rustique dont les morceaux prouvent combien tout est bon dans le cochon. Hors son groin, point de salut.
Il convient d’entrer dans son épaisseur où nous nous débattons non sans ambiguïté et hérésie. Et ce, pour une raison majeure : l’âme n’est soluble que dans le lard et ses millions de lombrics. Chaque être qui refuse de le reconnaître reste seul et prépare sa faim.
Préférons donc l’impureté de l’auge à la caserne de notre prétendue pureté. Passons de l’abîme de l’idéal au paroxysme bestial. La couleur rose thon du cochon nous montre la bête qui nous hante et dans laquelle nous demeurons tapis. Nulle question d’en faire le deuil : il convient à l’inverse d’en provoquer la renaissance. Car on n’est rien, à personne. A personne sauf au cochon.
Nos galeries intérieures, nos plis du cœur, nos déchirures de l’âme, notre paquet de nerfs sont sa réserve de suint et de soie. Bref, le cochon opère la coagulation de nos fantômes plus que le permettent nos fantasmes.
jean-paul gavard-perret
Arsène Houssaye, La vie rustique, Les Pives, Paulette Editrice, Lausanne, 2016.