Aurore Claverie & Cécile Hug , Le jour s’est tordu la cheville

Eloge du féminin

Aurore Cla­ve­rie est artiste mais aussi écri­vain. Elle écrit juste et fort et affirme la néces­sité de don­ner à l’obscénité une forme rituelle contre la sain­teté de la pudeur.  L’artiste joue à incar­ner une forme par­ti­cu­lière d’extase. L’extrême obs­cé­nité sur­vient comme l’affirmation du fémi­nin de l’être. La femme agit face à l’amant. Le ménage à deux est par­fois incer­tain mais qu’importe.  Chaque fois les mots  tombent d’un côté et les images de l’autre. Au milieu : un gué.  
Les mots séparent moins des images que celles-ci séparent l’être de lui-même. Il faut admettre la chute des images dans les mots. Tout glisse comme entre deux pipes de Magritte. Nique et panique. Ima­gi­ner ainsi. Ou presque. Ten­ter de trou­ver le  mot plus juste pour entrer  dans l’intouchable : péné­tra­tion et lan­gueur, fente, fête du silence que l’écriture tente de com­bler. L’extase  est immo­bile. Il faut en suivre vos traces, se lais­ser sai­sir. L’amour est peut-être cela : l’existence sépa­rée qui rap­pelle la vie avant le jour  et avant le lan­gage. Lumière presque éteinte. Lèvres ouvertes. Quelques frag­ments épars, puzzle jamais fini du « por­trait » entre l’ellipse  et l’énoncé, la néces­sité du secret et l’impératif de la parole.

Enclave, join­ture. Ce qui se joue, dedans. Ouvrir encore, ouvrir. Rai de lumière. Pou­voir de l’air. Han­tise de l’air -  ses colo­ris, sa pous­sière,  sa dia­pha­néité. La mémoire ou l’oubli. Du feu demeure le lieu où le monde, en un point sin­gu­lier, se cherche et se concentre. Ins­tants de la pen­sée où l’inconscient se concentre pour per­cer sa peau fuyante. Comme elle tout en un ins­tant, elle tout en son ins­tant. Contre un ascé­tisme moral qui rejette l’intimité, l’artiste ose un art qui tord la coquet­te­rie pour lais­ser appa­raître ce qui est tenu comme inconnu.
Quant à Cécile Hug, elle joue à sa manière avec le sym­bole phal­lique même si celui-ci se résume à la pointe d’un sein sous forme méta­pho­rique. La svel­tesse mas­cu­line se trans­forme en paro­die. Et c’est ainsi que Le jour s’est tordu la che­ville. Le sang déclare la chair non impure mais « inno­cente » et néces­saire. L’impudeur devient aussi poé­tique que bur­lesque : le secret fémi­nin que les hommes édul­corent s’affiche de manière enga­gée  mais sans morale pour autant. La révolte est plus pro­fonde. La femme n’est plus prise par n’importe qui et pour n’importe quoi tout en fei­gnant le contraire. Et l’humour des deux créa­trices reste un remède au pos­sible ragoût de la haine.

jean-paul gavard-perret

Aurore Cla­ve­rie & Cécile Hug , Le jour s’est tordu la che­ville, Lit­té­ra­ture Mii­neure, Rouen, 2016 — 8,00 €.

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