Une sulfureuse affaire au sein du monde ecclésiastique
Cette cinquième enquête de l’inspecteur Simon (la dernière ?), ce rescapé de la Grande Guerre, cet orphelin devenu un des meilleurs limiers, plonge ses racines dans le passé du héros. Ce passé reste obscur depuis le début de la série. Il n’était pas un élément essentiel des intrigues, mais l’auteur évoquait régulièrement cette recherche comme une enquête secondaire dans l’enquête principale. Toutefois, le romancier rappelait cette énigme par petites touches, allant jusqu’à faire retrouver cette mère, qui lui faisait des visites rares dans son orphelinat, placée dans une situation où elle ne peut éclairer son fils sur l’identité de son géniteur.
François va très mal depuis son retour de Russie. Il a dû partir sans Elsa. Il boit plus que de raison, délaisse son métier d’inspecteur au 36 Quai des Orfèvres. Filippini, son chef, l’a envoyé cherché pour l’amener au Sacré-Cœur. Bien vaseux, il ne comprend pas pourquoi on lui demande s’il était là, cette nuit, entre deux et quatre heures. Un prêtre a été assassiné, le cœur arraché dans une très macabre mise en scène. Sur les yeux du cadavre le meurtrier a collé B et S deux lettres découpées dans la Bible de la victime. François est effaré quand il voit son nom sur la liste des fidèles assurant l’Adoration perpétuelle, avec son prénom complet, un renseignement connu de peu de personnes. De plus, ces deux lettres lui rappellent les initiales qui ornent une chevalière que lui a laissée sa mère.
Il se souvient qu’un vieil anarchiste, en Russie, lui a appris qu’il avait le même prénom que Ravachol. C’est Mégot, un ami aux archives qui l’oriente vers un inspecteur à la retraite. Celui-ci se souvient que Ravachol avait un “fils spirituel”, un jeune anarchiste du nom de Charles Simon, mort au bagne en Guyane. Sa mère n’a-t-elle pas été dans cette région pour son métier ? Un second prêtre, à Carcassonne, est retrouvé mort avec une mise en scène identique à celle du Sacré-Cœur. François comprend que c’est dans son passé qu’il doit fouiller pour tenter de comprendre les mobiles de ces crimes. Quels liens avec l’Enfant-de-Cœur, cet assassin évadé récemment et demeuré jusqu’ici introuvable ? Dans sa cellule, celui-ci avait dessiné une fresque regorgeant de symboles et, au bas du mur, deux lettres très reconnaissables. C’est l’évêque de Carcassonne, où François s’est rendu, qui évoque, en lien avec les prêtres assassinés, le nom de Béranger Saunière, un prêtre de Rennes-le-Château, au sud de l’Aube…
Guillaume Prévost propose une intrigue diaboliquement construite qui mène son héros sur les traces d’une sulfureuse affaire qui a secoué le monde ecclésiastique, tous les chercheurs de merveilleux et les amateurs d’ésotérisme. Ce prêtre, nommé dans une paroisse relativement pauvre s’est mis, au bout de quelques temps, à faire des dépenses somptuaires tant pour restaurer son église que pour mener un train de vie bien éloigné de celui d’un curé de campagne dans les dernières années du XIXe siècle. Sur les talons de François, il nous entraîne dans une saga introduisant de nouveaux personnages qui viennent s’agréger à la galerie déjà conséquente des protagonistes. Ainsi, il met le projecteur sur Judith, une jeune prostituée rencontrée dans sa période alcoolique, qui a commencé par le délester de ses économies, mais qui est revenue pleine de bonnes intentions.
Ce qui est étonnant, merveilleux, c’est la capacité des romanciers à toujours trouver des liens nouveaux pour faire rebondir leurs intrigues. Guillaume Prévost avait-il prévu, dès les premières lignes, en donnant ce prénom à son héros, qu’il pourrait mettre en scène Ravachol ? Cette énigme de Rennes-le-Château, qui a nourri l’imaginaire de nombre de romanciers, de scénaristes, trouve sous la plume de Guillaume Prévost une solution qui a le mérite d’approcher peut-être la vérité mais surtout d’être cohérente avec les faits.
Ce roman est servi par une superbe écriture, un style efficace et tonique, une rythmique bien orchestrée allant, malgré un début tonitruant, encore crescendo. Guillaume Prévost offre un grand moment de lecture avec la belle réussite romanesque qu’est Cantique de l’assassin.
serge perraud
Guillaume Prévost, Cantique de l’assassin, NiL éditions, avril 2016, 368 p. – 20,00 €.