Jérémie Bennequin poursuit son « Ommage », titre générique d’une oeuvre fondée sur l’effacement de textes littéraires et leur nouvelle scripturographie. Existe là un double mouvement qui, sous prétexte de biffer, montre autrement et non sans ironie. On se souvient comment l’artiste « effaça » « Le temps perdu » dans un hommage à Proust. Ici, le propos est inverse : le corps interdit se noircit pour abolir progressivement le pacte du silence qui plane sur lui. Certes, jamais « le coup de dé » (cher à l’artiste comme à Mallarmé) de la gomme n’abolit le hasard ou les idées communes mais il peut les faire avancer. La disparition du lisible révèle sa visibilité et la littérature retrouve le corps que l’effacement matérialise.
Le livre devient un écrin sulfureux grâce à la métaphorisation et la littéralité proposées par le récurage et les oblitérations de l’artiste. Manière d’interroger l’intimité. Cache-t-elle « l’origine du monde » ? Oui d’une certaine manière mais pas seulement. L’artiste suggère la recherche non d’un paradis mais d’une identité sans passer par un érotisme hard-core qui ne dévoile que du leurre en cultivant voyeurisme et ambiguïté.
Contre les prétendus invariants du féminin lesbien qui servent de pare-fumée, Bennequin ouvre par ses mises et remises au point à des escapades discordantes. Elles refusent de céder le pas au convenu du tout-venant. Grâce à la puissance du projet et sa stratégie, le monde lesbien devient étoffe dans sa diaphanéité dans une « narrativité » volontairement mais aussi discrètement fluctuante. Une buée semble soufflée sur la face d’un miroir pour de subtils halos. Au bord de l’extinction. Au bord aussi d’une renaissance. Surgit par hybridation une humanité moins dichotomique.
L’œil d’abord est égaré puis comprend les différences plus que le dualisme basique des genres. L’œuvre oppose au fait « de nature » une autre vérité. Le marbre de la loi générique est remplacé par un autre magister. Il ne cherche pas à provoquer mais à évoquer de manière poétique et plastique ce qui fut et reste considéré comme une transgression.
lire notre entretien avec l’auteur : http://www.lelitteraire.com/?p=23783
jean-paul gavard-perret
Jerémie Bennequin,
– Les Lesbiennes, Editions Dilecta, 2016, Paris et
– exposition sur le livre « Au pays parfumé » (chez l’éditeur), “Paint her to your own mind”, Shandy Hall Gallery, York. 9 juillet — 30 septembre 2016.