Boris Wolowiec, A Oui

L’apho­risme contre la pen­sée en berne

Certains livres (rares) s’affranchissent de tout réper­toire même si — et à l’instar ce  A oui  — ils cultivent la nomen­cla­ture. Chaque entrée devient une suite de coups de cou­teau ou de rixes dans ce qu’on nomme com­mu­né­ment la pen­sée par apho­rismes. Sans se contre­dire, ils se mas­sacrent les uns les autres afin non de s’annuler mais de faire en sorte que la vérité d’un sens ne puisse se rete­nir dans un seul d’entre eux. Il existe donc une conver­ti­bi­lité du logos en une gra­vi­ta­tion et une jubi­la­tion afin que « la cer­ti­tude du ça tombe », mette en char­pie les cer­ti­tudes là où l’instinct d’imagination répond à « l’apparition inexo­rable du monde ». Et ce, par diverses méthodes : méta­phores, tau­to­lo­gies, oxy­mo­rons, jeu entre abs­trac­tion et figu­ra­tion, injec­tions de matière « à l’intérieur de la cou­leur du des­tin ».
Boris Wolo­wiec mul­ti­plie les conflits de pro­po­si­tions pour offrir des escar­mouches inter­mit­tentes. Existent par­fois des flèches contre la poudre, du feu contre les hachettes des phrases cou­pantes. Par son épais­seur, le livre res­semble à une mons­trueuse tem­pête, à un entas­se­ment ou plu­tôt un grouille­ment de pro­po­si­tions. Elles tentent toutes de pros­ti­tuer les pen­sées admises. Chaque « apho­risme » doit donc être consi­déré comme une putain irrespectueuse.

L’entrée « sexe » peut d’ailleurs don­ner un aperçu des ité­ra­tions de l’auteur. Certes, par­fois, les for­mules peuvent paraître creuses : « La liberté habille le sexe. La néces­sité dénude le sperme ». Mais néan­moins, il y a plus de vis­co­sité dans cette affir­ma­tion qu’il n’y paraît. D’autant qu’une qua­ran­taine d’autres pro­po­si­tions la nuance. Cer­taines laissent dubi­ta­tif (« le sexe excite le tabou sauf d’un œil, crevé à blanc »), d’autres sont plus péné­trantes (« le sté­tho­scope du sexe cal­li­gra­phie la révé­rence de l’instinct »).
L’aphorisme tente donc ici d’éviter de s’ériger en porte-drapeau d’une pen­sée en berne. Certes, Boris Wolo­wiec se laisse vio­ler par le goût ou la brillance de mots savants super­fé­ta­toires. Par­fois ils tombent juste, par­fois ils sont d’horribles qua­kers qui empêchent à la pen­sée d’avancer tant ils s’entichent de leur propre culte.

Le lec­teur res­tera saisi néan­moins par la glaise lit­té­raire que l’auteur retourne. Il se refuse à l’humour facile. Néan­moins, son voyage au cœur du logos aurait pu être plus léger. Tel un major­dome de son propre dis­cours, en net­toyant des miettes, le texte s’exonèrerait de cer­taines acro­ba­ties. Mais il est vrai que cha­cune d’elle pro­pose des accou­ple­ments propres le plus sou­vent à désac­cor­der du sens.
Manière de renou­ve­ler les habi­tudes de pen­ser et de résis­ter aux pres­sions de l’idéologie cou­rante. Bref, une nou­velle mai­son de l’être est en construction.

jean-paul gavard-perret

Boris Wolo­wiec, A Oui, Edi­tions du Vide Immé­diat, 2016.

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