Les œuvres d’Adèle Nègre accordent la mesure de l’impuissance à exister. Diverses scénographies qui ébranlent toute signification induisent L’effacement du corps. Et ce, à l’image de ce qui se passe chez Derrida lorsqu’il affirme “le mot est le cadavre de la parole”. L’image, peu à peu, se restreint, s’habille de noir, de sorte que, au sein même de la clôture de la représentation, elle dématérialise le caractère physique du corps, crée de nouvelles instances de représentation mais afin qu’un irreprésentable puisse apparaître : celui du vivant. L’œuvre laisse revenir ce qui a toujours été dissimulé. L’être y vaque sans but. Il est perdu, passif dans l’errance, dans une avance sans avance.
La femme surgit en un présent qui n’existe plus. Ses effets sont absents mais ils se manifestent pourtant. Ils disent la présence de l’être qui recherche moins son image que sa vérité. L’attente glisse au silence — comprenez : on s’efface. Derrière le voile de douceur et de calme, la nuit galope.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon réveil. Les obligations. Je déteste le matin l’enthousiasme généralisé du beau matin. Même à la campagne, où j’habite, il y a cet acharnement, dès le matin, surtout le matin, à transformer le monde.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Bien… ils sont toujours.
A quoi avez-vous renoncé ?
Je crois que je n’ai pas renoncé, non. Je ne renonce pas. Il me faut vraiment un coup de gourdin pour que je lâche prise. (Derrière mon épaule j’entends : “même pas!”). Mais, je n’avais pas beaucoup d’ambitions au départ.
D’où venez-vous ?
Du jardin ou de l’atelier.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le monde, comme tout un chacun.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le soleil, même quelques secondes. Le café au soleil, sur les marches de ma maison (mais je vis dans une région où l’hiver dure 6 mois au moins, alors je le cherche derrière la fenêtre)
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne sais pas. Je ne revendique pas ce statut. Je fais des images et des textes. J’agence et j’ordonne (j’essaie !) ce qui est embrouillé à première vue.
Comment définiriez-vous votre approche de l’effacement ?
L’effacement? Je suis en plein dedans! Tout m’atteint.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Certainement un grand bouquet de fleurs de Brueghel dont la reproduction éclairait le couloir d’entrée chez mes arrières grands-parents, qui habitaient la cité HLM en briques rouges, face au cimetière de Boulogne Billancourt. J’avais 3 ou 4 ans.
Et votre première lecture ?
J’ai lu tard. Mais certainement : “Bataille dans la montagne” vers 12, 13 ans.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Béla Bartók, Chostakovitch. Beaucoup d’autres, du blues, du jazz, mais finalement pas souvent.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“L’inquisitoire”, “Don Quichotte” (en français)
Quel film vous fait pleurer ?
“M.A.S.H”, de toutes les façons.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Le miroir.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’écris à personne quasiment.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les Causses et vallées cévenoles, où j’ai grandi en partie. Le Languedoc, où je suis “descendue” pus tard. Le Portugal tout entier (un de mes rares voyages) !
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Plutôt : je m’entoure d’œuvres, dans ma tête, chez moi, et petit à petit, j’aime les personnes et leur présence m’épaule… Pour faire, des images, des textes, j’ai besoin d’adresser. C’est un geste, oui, de rapprochement.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Je n’attends rien, non. Je n’ai envie de rien. Ou si : un vrai appareil photo ! Enfin, même ça, je ne sais pas…
Que défendez-vous ?
Le droit à la lenteur, l’indécision parfois.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Rien du tout.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Ah! J’adore! Et moi aussi, je suis souvent toute oui, comme ça, a priori.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Aucune, je ne vois pas. C’est assez.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er août 2016.