Hors mode, la poésie de Guénane est d’existence. Etre n’y est pas le simple supplétif à avoir. Seul le premier compte — mais il faut du temps à certains pour s’en apercevoir et d’autres mourront sur leurs millions. Etre rime pour l’auteure avec écrire. Cette urgence n’a rien d’une confession mais d’un confinement en déracinant les mots.
Certes, la poétesse aime parfois faire des leçons : le titre même l’induit. La sagesse les réclame et cela vaut mieux que se beurrer de lyrisme nostalgique. Baudelaire le savait déjà : pour lui, « les élégiaques sont des canailles ». L’exercice de la sagesse permet donc un autre chant et une autre voie. Sa chute n’est que dans la beauté des formules finales qui raviraient La Fontaine : « ne juge jamais si tu veux connaître mieux » par exemple.
Cette sagesse à effet de retard ramène bien sûr à ce qui attend tout individu – du moins pendant qu’il n’est pas encore transgénique. Rappelons à ce propos ce que Guénane dit de la science : « elle ignore la morale / elle avance ». D’où son danger.
Le livre devient sans le vouloir le parfait remède à la solitude qui saisit tant de gens égarés. L’auteure les comprend mais elle n’a pas besoin d’épanchement pour le dire. Les mots d’attention avancent avec la vie.
Loin des orgues à prière, l’écriture rappelle ce qu’on nomme en couture du passé empiété. Le temps est à la fois repris mais demeure encore une présence qu’il s’agit de broder afin de ne pas le laisser s’échapper de manière défective. Preuve que la poésie est une forme certes modeste mais souveraine de résistance.
lire notre entretien avec l’auteure : http://www.lelitteraire.com/?p=23738
jean-paul gavard-perret
Guénane, La sagesse est toujours en retard, Rougerie, Mortemart, 2016.