Il y a une dizaine d’années, Polixeni Papapetrou a été victime d’une stupide controverse dans son pays. Le prétexte en était qu’elle photographiait sa fille (à l’époque âgée de six ans) nue. C’était ne rien comprendre à ce que Polixeni Papapetrou explore. Principalement, le thème de la transformation de l’enfance à l’adolescence, de l’âge adulte à la vieillesse.
Son expérience de la maladie l’a rendue encore plus poreuse à la fragilité de la vie. La beauté reste l’essence de sa vision des femmes. A sa manière la créatrice lutte pour leur liberté comme aussi celle de la création. L’australienne sait créer un « romantisme » très particulier. Au lyrisme qui dissipe l’intelligence, elle préfère cette dernière tout en demeurant capable d’offrir des émotions. Elles permettent de franchir le pas du passé au présent et vers le futur que l’œuvre annonce subtilement au sein de son cérémonial particulier. Il est intense, dans son économie de moyens l’artiste nourrit une réelle féerie.
Il n’existe plus d’un côté le réel et de l’autre sa fiction. Ne restent que des signes qui se partagent entre l’ascèse et la souplesse. ils deviennent moins des parures qu’une mentalisation du réel. Celui-ci change de registre et quasiment de statut en ce qui tient du défi plastique.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Il y a toujours tant de choses à faire que je dois sortir du lit. La première chose que je fais est de préparer le petit-déjeuner, lire le journal et achever mon croissant. La nourriture est une puissante motivation. Récemment, je suis devenue gourmande des croissants pour le petit-déjeuner car une boulangerie française s’est ouverte près de chez moi.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Enfant, je me rappelle que j’éprouvais une forte urgence de quitter ma famille et découvrir une autre vie que la mienne. Je crois que mes rêves tournaient tous autour de l’idée de fuite : le rêve majeur était de partir pour l’université et je l’ai réalisé. Ce qui a changé ma vie pour toujours.
A quoi avez-vous renoncé ?
A rien je pense et c’est plutôt le contraire : j’ai beaucoup gagné.
D’où venez-vous ?
Je suis née et j’ai grandi à Melbourne de parents grecs. Je suis Australienne avec un héritage grec. Aussi je me ressens comme si je venais de Grèce parce que, lorsque je visite ce pays, je me sens autant chez moi qu’en Australie.
Quelle est la première image dont vous vous souvenez ?
Sous le lit de mes parents, il y avait une boîte qui contenait des photos de mes parents adolescents en Grèce et aussi les photographies de leurs premières années en Australie. Je sortais ces photos toutes les semaines pour les étudier. Elles étaient un mystère pour moi. Je ne peux pas précisément me souvenir d’une seule image comme la première mais cette boîte de photographies fut certainement pour moi ma première rencontre avec les images. Beaucoup plus tard, quand je voyageais en Grèce, on m’a donné la seule photographie survivante de mes grands-parents que je n’ai jamais rencontrés. Ce n’est pas la première image dont je me souviens mais c’est l’image la plus mémorable pour moi.
Et votre première lecture ?
Quand j’ai commencé l’école primaire, je ne savais pas parler anglais. On me demanda de lire un livre d’école intitulé « John et Betty ». Ce livre définissait les attentes des filles et des garçons de l’époque. Comme nous n’avions pas de livres en anglais à la maison, j’en ai volé un à l’école mais je fus découverte : une lettre fut envoyé à mes parents avec comme résultat une punition.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
J’éprouve beaucoup de rapprochements avec les photographes et les praticiens d’autres arts et la littérature. Peut-être que ce qui m’en distingue — en dehors de mon passé et de ma personnalité — est l’opportunité d’avoir pu travailler avec des êtres inspirés spécialement dans mon enfance. Je pense que j’ai eu un privilège unique en ayant accès à leur innocence, leur compréhension, leur imagination, leur intelligence incomparable et leur naïveté, leur compréhension naturelle du symbolique et leur sens du merveilleux. Je me rends compte que tout le monde ne peut aimer la perspective fraîche, enchantée de ce que les enfants peuvent apporter aux adultes quand ils sont trop réfléchis et conditionnés.
Acceptez-vous le terme de photographe féministe ?
Oui, dans le sens que je ne peux dire le contraire. Je ne suis pas ouvertement féministe mais ce que je retiens du féministe est son appréhension du pouvoir des structures qui fonctionnent dans les lignes de démarcation de la notion de genre – ce que beaucoup de mes photographies tentent de subvertir. Un thème persistant au cours de mon travail est comment se travaillent les « changes » à travers les formes et par le jeu de rôle. Par exemple, mes enfants — féminins et masculins – ont été bénis habillés de la robe de baptême dévolues au sexe opposé (« Phantomwise », 2002). J’ai aussi emprunté au féminisme le désir de comprendre les dynamiques des filles (« Games of Consequence », 2008), le symbole phallique (« The Ghillies », 2013) et plus récemment comment les femmes, les fleurs et le jardin ont été réinterprétés par les féministes en tant que déconstruction de la passivité féminine que souligne toute l’histoire de l’horticulture décorative (« Eden », 2016).
Ou travaillez-vous et comment ?
Je travaille toujours en Australie. Chaque corpus est créé soit à l’extérieur, soit en studio. Je vais de l’un à l’autre cela, dépend du type d’espace que je désire pour entourer mes portraits.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Mmm, ma mère ? C’est juste une plaisanterie. Je suis une épistolière quelque peu intrépide. A peine sortie de mes études photographiques, j’ai écrit à Richard Avedon (et j’ai eu une belle réponse) et j’ai aussi écrit à un ancien Premier Ministre australien pour exprimer ma déception face à son philistinisme. Le seul problème que j’ai à écrire est la crainte de leur faire perdre leur temps.
Quelle musique écoutez-vous ?
J’aime la musique et j’en écoute de tous les genres et de toutes les époques. Je chante souvent à partir de la petite liste de mon iPhone. Elle contient des airs populaires avec lesquels j’ai grandi en tant que teenager dans les années 70. La musique classique représente une grande partie de la culture de ma famille. Ma fille Olympia joue du violon dans un orchestre et j’aime son répertoire. Mon compositeur favori est sans doute Bach.
Quel livre aimez-vous relire ?
« Madame Bovary » de Flaubert pour la structure psychologique d’Emma et comment celle-ci est en partie déterminée par la position de la femme au XIXème siècle. Sa morale, son déclin financier et psychologique est un récit tragique et édifiant sur beaucoup d’aspects du XIXème siècle.
Quand vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Par chance moi-même. Mais c’est une grande question. En anglais, nous utilisons le pronom réflexif “myself’ (moi-même). Mais nous pouvons dire aussi je vois « my self » : signification de ma nature intérieure. Je ne ferais pas cette allusion sous prétexte que j’essaye toujours de comprendre qui je suis. Comme l’appareil photo, le miroir ne renvoie pas d’analyse. C’est à l’œuvre d’art de la proposer.
Quel lieu à valeur de mythe pour vous ?
Paris, énormément, et pour raisons de pur plaisir. Il y a d’autres villes en tant que capitales du monde. Londres par exemple qui est pour moi majestueuse et belle. Mais Paris possède une grandeur baroque et la grandiloquence du dix-neuvième siècle qui ne cessent jamais d’être intimes, lyriques, parlantes, décoratives et gaies. Cela me rend heureuse d’y penser. Il y a d’autres endroits qui manquent entièrement de l’élégance charismatique de Paris mais qui résonnent puissamment avec moi. Les terres autour de Mildura, au nord-ouest de mon état de Victoria en est un exemple. Tout l’Australie pré-coloniale est chargée d’histoires avec une signification spirituelle profonde. Vous pouvez toujours le sentir fortement dans cette partie sèche mais belle que nous appelons le Mallee.
Quels sont les artistes dont vous êtes le plus proche ?
Ce sont des artistes qui sont des amis ou que je connais personnellement. Bien sûr, pour avoir une relation proche, il faut que j’admire leur travail et leur engagement.
Quel film vous fait pleurer ?
C’est une bonne question. J’ai toujours et seulement pleuré devant les films sur l’Holocauste. Bien que je trouve ces films difficiles à regarder, je m’oblige à les regarder et je demande à mes enfants (de 17 et 19 ans) de le faire afin de ne pas se tromper sur ce qui est arrivé et de comprendre l’histoire de leur grand-mère paternelle.
Que voudriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Ah, tristement, je voudrais que mon docteur me dise que je fêterai le prochain après celui-ci.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas “ ?
L’idée de Lacan est un modèle du déficit d’amour. Il suppose que vous avez un dépôt fini d’actif d’amour selon lequel vous empruntez, simulez ou promettez de rendre de quoi vous manquez. De l’autre côté, « notre » amant ne manque de rien et n’a aucun besoin de l’amour, autrement la relation serait la dépendance et non de vrai amour. Cette vision est intelligente mais fausse. Je dirai qu’il propose une réalité proche de l’offrande particulière des fleurs. Vous n’avez pas de fleurs et personne pour les recevoir (comme mon mari par exemple). On peut donc considérer que c’est inutile. Mais le miracle de l’amour fait que plus on donne, plus on doit donner. Ce n’est pas un modèle déficitaire mais génératif.
Et celle de Woody Allen : « la réponse est oui mais quelle était la question » ?
Nous connaissons cette énigme. La question doit être : « La vie a-t-elle un sens ? ». Bien sûr, la réponse est oui. Mais après cette affirmation, nous ne connaissons toujours pas la question. Et toutes les autres et belles questions sémantiques suivent. L’art, la musique ont-ils un sens ? Oui ! Mais quelle est la question ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Aimez-vous faire du shopping ? Et la réponse est…
Présentation, entretien et traduction réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 18 juillet 2016.
Très interressant. Merci.