Philippe Curval, Rasta Solitude

Pour nour­rir l’esprit sous les restes de bron­zage, lisez cette fumante S-F ras­ta­quouère en chute libre dans les abîmes de la paranoïa

Pas de ganja, pas de reg­gae, et par­tout sur Terre : l’haleine char­gée de Babylone…

Nouvelles alié­nantes, tant pour les tou­ristes brut de bureau, par­qués à l’autre bout du monde dans des archi­tec­tures de paco­tille qui sentent le plas­tique neuf, que pour le lec­teur à la recherche d’un peu d’authentique évasion.

En cette ren­trée 2003, si Phi­lippe Cur­val nous emmène sous les pal­miers, c’est seule­ment pour s’y ados­ser contre leur tronc exo­tique lorsque la soli­tude devien­dra vrai­ment insupportable…

Stran­ger in a strange land

Avec la sagesse de l’écrivain d’expérience, Phi­lippe Cur­val ouvre son der­nier opus par une longue pré­face ins­pi­rée sur la science-fiction. Com­ment résis­ter à son ivresse pour le genre qu’il décline cette fois à la mode ras­ta­quouère ! Pour­tant, mal­gré le charme tout gains­bour­gien du fan­tai­siste vocable, le leit­mo­tiv de ce volume est bel et bien la solitude.

Comme ceux du recueil “Habite-t-on réel­le­ment quelque part ?”, les onze pré­sents récits sont les fruits de chambres d’hôtels du monde entier, mais ils sont per­clus du malaise de qui n’a pas un billet de retour en poche. Cur­val y explore la zone créa­tive où se rejoignent l’émigré, mar­gi­nal volon­tai­re­ment roots ou per­son­nage déra­ciné au hasard, et la nature socio­lo­gique, poli­tique et cultu­relle du lieu qu’il occupe à titre pro­vi­soire.
“L’étranger n’est plus ce qu’il était car celui qui l’accueille ne sait plus s’il est exac­te­ment où il croyait être.“
En période de libé­ra­lisme sau­vage, ter­ro­risme, repli com­mu­nau­taire, de racisme, il est salu­taire de lire un auteur qui sait com­mu­ni­quer l’insécurité uni­ver­selle du ras­ta­quouère en terre étrangère.

Plate-forme d’observation

L’éter­nel ailleurs s’amorce dans les limbes domo­tiques des Jar­dins d’Haussmann, Paris 10e ; passe à l’Est dans une ville ano­nyme où s’égare l’identité d’un confé­ren­cier ; plonge en apnée au Cap Vert pour chas­ser la sublime essence du passé ; atteint la Caraïbe au fin fond du cos­mos et ren­contre Ras­ta­fari ; reluque les copu­la­tions d’un nain arti­fi­ciel et l’ultime Blanche Neige humaine au bord du lac Baï­kal ; nage en eaux troubles mais en bonne com­pa­gnie à la fron­tière Tan­za­nienne ; dérape à Hérak­lion dans un lotis­se­ment fan­tôme sur­veillé par la mytho­lo­gie cré­toise ; fran­chit l’espace jusqu’à Barre/Watis pour y détruire avi­de­ment une culture ; trans­pose des digni­taires d’Asie dans une dimen­sion loin­taine ; lit tout ce qu’il trouve pour gué­rir de la der­nière mala­die à prion ; et s’efface sur une plage où le Temps est court, la nature hos­tile et l’homme ridicule.

Plu­tôt dés­in­té­gré qu’intégré

Seul sans crème anti-U.V. sur le sable d’une île déserte qui n’est pas Koh Lanta ou pri­son­nier de l’enfer bal­néaire des com­plexes tou­ris­tiques, le visi­teur s’abîme et se dégrade à vue d’oeil, perd ses cer­ti­tudes et repères, devient la proie et le ter­rain d’exercice du sur­na­tu­rel. L’harmattan, le sirocco, le mel­teni peuvent bien souf­fler leur mes­sage, ils par­vien­dront peut-être à dis­per­ser le tumulte du tou­risme de masse…

“Une caco­pho­nie effroyable fil­trait des stu­dios voi­sins soi-disant inso­no­ri­sés. Bam­bins braillards, ménages en rut, sonos des ados pous­sées au maxi­mum, rol­lers de salon, cas­se­roles sur le gaz. Au loin sur la plage ratis­sée de frais, des nuées d’enfants hur­laient plus fort que les engins à moteur qui tra­çaient leurs sillons en tous sens au milieu des planches à voile. Des corps nus allon­gés absor­baient le soleil par tous les pores. Les bai­gneurs patau­geaient dans les vagues en hen­nis­sant. D’autres pla­gistes jouaient au bal­lon en écra­sant des mains ; leur pro­gé­ni­ture bâtis­saient des châ­teaux de sable, mêlé de chewing-gum et de papiers gras.“

Pour com­prendre ce qui a bien pu se pas­ser l’été der­nier, pour nour­rir l’esprit sous les restes de bron­zage, il suf­fit donc de lire cette fumante science-fiction ras­ta­quouère, entre lit­té­ra­ture spé­cu­la­tive et intros­pec­tion exis­ten­tielle, en chute libre dans les abîmes de la paranoïa.

stig legrand

Phi­lippe Cur­val, Rasta Soli­tude, Flam­ma­rion Col­lec­tion “Ima­gine” diri­gée par Jacques Cham­bon, sep­tembre 2003, 331 pages — 15,00 €.
ISBN : 2–08-068417–5

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