Les malentendus ou autres courants
Il y a une béatitude immense à n’être rien. Ou à être tout, comme le fait Roubaud. Mais ce n’est pas si simple. Sauf pour celui qui, fort en certitudes, ne craint pas la dépression. Si tout ne peut commencer qu’à l’approche du néant, l’auteur s’en fait un must. Et si chacun sait qu’en supprimant la négation, on invalide le langage, l’auteur abolit tout ce qui ne correspond pas à ses diktats forgés en remarques.
Roubaud fait donc le ménage : « Ce volume rassemble un demi-siècle de réflexions dans une forme particulière de prose que j’appelle remarques. » écrit l’auteur dans son introduction. Ces remarques sont donc un mal (nécessaire ?). Elles permettent de tailler dans le vif, non sans injustice et rapidité d’analyse. Cela plaira sans doute. Joyce est exécuté en une phrase : « Finnegans Wake est une escroquerie théorique : les langues ne sont saisies que par leur lexique. La syntaxe est d’une banalité anglaise écœurante ». C’est un peu rapide. Quant aux jeux d’esprit, ils n’ont d’intérêt que le ronflant humaniste : « L’emploi du Zyklon B est interdit aux USA pour les exécutions capitales. Il serait inhumain. »
Mais Roubaud revient surtout sur ses dadas qui sont la loi des nombres. Par leur flux “verbal » et dans une belle vue de l’esprit, il fait de la poésie une mécanique spirituelle. D’où l’idée chère à l’auteur du langage comme calcul : « On peut explorer l’idée d’une vérité poétique comme calcul. » Voire. Même si l’auteur calcule son effet : « La poésie est dans sa langue comme le poisson quantique. » Ce qui – avouons le — ne veut rien dire.
L’auteur croit néanmoins inventer un nouveau courant : il s’accroche aux anciens comme un chien à une laisse. La poétique pour gogos grimés en derviches tourneurs n’est qu’une précaire assurance sur la survie de la poésie, du moins celle que sème et « sémantise » ce protégé d’Artémis ou de quelque autre déesse de la gloire.
Le poétique prend la forme d’une table de multiplication céleste. Le langage n’y est qu’une numérologie approximative. Seul un certain nanisme de l’espace cérébral est en vue en 4755 items (régulés en 15 sections) jusqu’à « La dernière remarque (qui) ne remarque rien que le fait qu’elle est la dernière remarque »… Avant ce t(h)erme, les formules brillantes donneront l’impression au lecteur d’être intelligent. Il pourra briller lors des soirées en Avignon en citant des formules bien du type « La poésie est l’énigme de la langue et sa chute donne naissance aux mystères de la pensée » ou encore « Les arts de la mémoire créaient un solide, une architecture dans le champ mnémonique. C’est un des liens du nombre pythagorique à la mémoire. » . Qu’ajouter ? Sinon « Glups ».
Tout reste de l’ordre de la fatrasie passée au cirage comme l’étaient certains attributs virils dans certaines garnisons afin que les « bleus-bites » ne le soient plus. Le verbiage ne cesse de reluire d’évidences : « Renversant cul-par-dessus-tête une proposition de Lautréamont (Poésies II), le comte : « La poésie doit être faite par chacun, non par tous. » ou encore « Le saint ressemble aux chats, qui sont de grands spécialistes du penser à rien. », ce qui est méchant pour les chats.
Il faut considérer, rappelle leur fomenteur, ces amalgames « aurales » (dixit lui-même) comme un « journal intime ». Il est plus journal qu’intime. Et du type « Voici ». Mais où les cuisses sont remplacées par l’orgueilleux aphorisme. On est en droit de préférer les premières.
jean-paul gavard-perret
Jacques Roubaud, Poétique Remarques. Poésie, mémoire, nombre, temps, rythme, contrainte, forme, etc., Le Seuil , « La Librairie du XXIe siècle », 2016, 448 p. — 25,00 €.
Hors nombre d’or ou d’art le sieur Roubaud part en vrilles de copeaux hélicoïdaux . Hum …ou ” Glups ” …